Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 1.djvu/456

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Cependant des milliers de victimes tombèrent (1)[1]. Mais, pour un ermite égorgé dix accouraient, se disputant le sanctuaire désormais sanctifié, et les vénérables colonies, étendant de plus en plus leurs ramifications, conquéraient irrésistiblement le sol. Leurs fondateurs ne s’emparaient pas moins de l’imagination de leurs farouches meurtriers. Ceux-ci, frappés de surprise ou d’une superstitieuse épouvante, voulaient enfin savoir ce qu’étaient ces mystérieux personnages si indifférents à la souffrance et à la mort, et quelle tâche étrange ils accomplissaient. Et voilà alors ce que les anachorètes leur apprenaient. « Nous sommes les plus augustes des hommes, et nul ici-bas ne nous est comparable. Ce n’est pas sans l’avoir mérité que nous possédons cette dignité suprême. Dans nos existences antérieures, on nous vit aussi misérables que vous-mêmes. À force de vertus et de degrés en degrés, nous voici au point où les rois même rampent à nos pieds. Toujours poussés d’une unique ambition, aspirant à des grandeurs sans limites, nous travaillons à devenir dieux. Nos pénitences, nos austérités, notre présence ici, n’ont pas d’autre but. Tuez-nous : nous aurons réussi. Écoutez-nous, croyez, humiliez-vous, servez, et vous deviendrez ce que nous sommes (2)[2]. »

Les sauvages écoutaient, croyaient et servaient. L’Aryavarta gagnait une province. Les anachorètes devenaient la souche d’un rameau brahmanique local. Une colonie de kschattryas accourait pour gouverner et garder le nouveau territoire. Bien souvent, presque toujours, une tolérance nécessaire souffrit que les rois du pays prissent rang dans la caste militaire. Des vayçias se formèrent également, et, je le crois, sans un trop grand respect pour la pureté du sang. D’un district de l’Inde à l’autre, le reproche de manquer de pureté n’a jamais cessé



(1) D’après les légendes brahmaniques et les poèmes, les ascètes avaient affaire à des anthropophages.(Lassen, Indische Alterth., t. I, p. 535.)

(2) Manava-Dharma-Sastra, chap. X, § 62 : « Desertion of life, without reward, for the sake of preserving a priest or a cow, a woman or a child, may cause the beatitude of those base-born tribes. »


  1. (1) D’après les légendes brahmaniques et les poèmes, les ascètes avaient affaire à des anthropophages.(Lassen, Indische Alterth., t. I, p. 535.)
  2. (2) Manava-Dharma-Sastra, chap. X, § 62 : « Desertion of life, without reward, for the sake of preserving a priest or a cow, a woman or a child, may cause the beatitude of those base-born tribes. »