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une théorie rationaliste qui s’aventure hors des écoles et va entreprendre la conduite des peuples ! Le bouddhisme le montre pleinement, et l’on peut dire que les multitudes immenses dont il dirige les consciences appartiennent aux classes les plus viles de la Chine et des pays circonvoisins. Telle fut sa fin, tel est son sort actuel.

Le brahmanisme ne fit pas que profiter des infirmités et des fautes de son ennemi. Il eut aussi des bénéfices d’habileté, et il suivit, en ces circonstances, la même politique dont il avait déjà usé avec succès lors de la révolte des kschattryas. Il sut pardonner et accorder les concessions indispensables. Il ne voulut pas violenter les consciences ou les humilier. Il imagina, au moyen d’un syncrétisme accommodant, de faire du bouddha Sakya-mouni une incarnation de Vischnou. De cette façon, il permettait à ceux qui voulaient revenir à lui de toujours vénérer leur idole, et leur épargnait ce que les conversions ont de plus amer, le mépris de ce que l’on a adoré. Puis, peu à peu, son panthéon accueillit beaucoup de divinités bouddhiques, avec cette seule réserve, que ces dernières venues n’occupèrent que des rangs inférieurs. Enfin il manœuvra de telle sorte qu’aujourd’hui le bouddhisme est aussi bien non avenu dans l’Inde que s’il n’y avait jamais existé. Les monuments sortis des mains de cette secte passent, dans l’opinion générale, pour l’œuvre de son rival heureux (1)[1]. L’opinion publique ne les dispute pas au vainqueur, tellement que l’adversaire est mort, sa dépouille est restée aux brahmanes, et le retour des esprits est aussi complet que possible. Que dire de la puissance, de la patience et de l’habileté d’une école qui, après une campagne de près de deux mille ans, sinon plus, remporta une victoire semblable ? Pour moi, je l’avoue, je ne vois rien d’aussi extraordinaire dans l’histoire, et je ne sache rien, non plus, qui fasse autant d’honneur à l’autorité de l’esprit humain.




du XVIIe siècle. L’esprit hindou, dont il restait peu, a été presque absolument expulsé par ces innovations.

(1) Burnouf, ouvr. cité, t. I, p. 339. — Bouddha, considéré comme une incarnation de Vischnou, est une idée qui ne remonte pas plus haut que l’an 1005 de l’ère de Vikramâditya, 943 de la nôtre.


  1. (1) Burnouf, ouvr. cité, t. I, p. 339. — Bouddha, considéré comme une incarnation de Vischnou, est une idée qui ne remonte pas plus haut que l’an 1005 de l’ère de Vikramâditya, 943 de la nôtre.