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il fallait compter par dizaines de siècles. Déshabitués de cette méthode, nous constaterons bientôt qu’une civilisation de cinq à six cents ans est comparativement très vénérable. Les plus splendides créations politiques n’auront de vie que pour deux cents, trois cents ans, et, ce terme passé, elles devront se transformer ou mourir. Éblouis un instant de l’éphémère éclat de la Grèce et de la Rome républicaine, ce nous sera une grande consolation, quand nous en viendrons aux temps modernes, de réfléchir que, si nos échafaudages sociaux durent peu, ils ont néanmoins autant de longévité que tout ce que l’Asie et l’Europe ont vu naître, ont admiré, redouté, puis, une fois mort, foulé aux pieds depuis cette ère du VIIe siècle avant J.-C., époque de renouvellement et de transformation quasi complète de l’influence blanche dans les affaires des terres occidentales.

L’Ouest fut toujours le centre du monde. Cette prétention, toutes les régions un tant soit peu apparentes l’ont, à la vérité, nourrie et affichée. Pour les Hindous, l’Aryavarta est au milieu des contrées sublunaires ; autour de ce pays saint s’étendent les Dwipas, rattachés au centre sacré, comme les pétales de lotus au calice de la divine plante. Selon les Chinois, l’univers rayonne autour du Céleste Empire. La même fantaisie amusa les Grecs ; leur temple de Delphes était le nombril de la Bonne Déesse. Les Égyptiens furent aussi fous. Ce n’est pas dans le sens de cette vieille vanité géographique qu’il est permis à une nation ou à un ensemble de nations de s’attribuer un rôle central sur le globe. Il ne lui est pas même accordé de réclamer la direction constante des intérêts civilisateurs et, sous ce rapport, je me permets de faire une critique bien radicale du célèbre ouvrage de M. Gioberti [1]. C’est, en se plaçant au seul point de vue moral, qu’il y a de l’exactitude à soutenir que, en dehors de toutes les préoccupations patriotiques, le centre de gravité du monde social a toujours oscillé dans les contrées occidentales, sans les quitter jamais, ayant, suivant les temps, deux limites extrêmes, Babylone et Londres

  1. (1) Primato civile e morale dell’ Italiani ; in-8o, Bruxelles.