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En Égypte, il s’était passé quelque chose d’analogue. Mais, comme le système des castes, malgré ses imperfections, conservait encore cette société dans ses principes constitutifs, les gouvernants de Memphis, se sentant d’ailleurs trop faibles pour résister à tous les chocs, tournaient leur politique à maintenir entre eux et la puissance ninivite, qu’ils redoutaient par-dessus tout, un rideau de petits royaumes syriens. Cachés derrière ce rempart, ils continuaient, tant bien que mal, à se traîner dans leurs ornières accoutumées, descendant la pente de la civilisation à mesure que le mélange noir les envahissait.

Si les Ninivites les épouvantaient par-dessus tout, ces peuples n’étaient pas les seuls à les tenir en émoi. Se reconnaissant également incapables de lutter contre l’imperceptible puissance des pirates grecs, θαλασσοκρατῶν, Arians qui s’intitulaient rois de mer, comme le firent plus tard leurs parents les Arians Scandinaves, les Égyptiens avaient eu recours à la prudente résolution de se séquestrer en fermant le Nil à ses embouchures. C’était au prix de précautions si excessives que les descendants de Rhamsès espéraient encore préserver longtemps leur tremblante existence.

À côté des deux grands empires du monde occidental ainsi affaiblis, les Hellènes se montraient à peu près dans l’état qu’avaient connu les Mèdes avant la fondation de la monarchie unitaire. Ils faisaient preuve de la même turbulence, du même amour de liberté, des mêmes sentiments belliqueux, d’une ambition égale de commander un jour aux autres peuples, et, retenus par leur fractionnement, ils restaient incapables d’entreprendre rien de plus vaste que des colonisations déjà assises aux embouchures des fleuves de l’Euxin, en Italie et sur la côte asiatique, où leurs villes, encouragées par la politique assyrienne à faire une concurrence heureuse au commerce des cités de Phénicie, dépendaient essentiellement, à ce titre, de la puissance souveraine à Ninive et à Babylone.

Ce fut à cette heure, où aucune des grandes puissances anciennes n’était plus en état d’attaquer ses voisins, que les Mèdes se présentèrent en candidats au gouvernement de l’univers. L’occasion était on ne peut mieux choisie : il s’en fallut de peu,