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nations. Les baleiniers déserteurs et les matelots réfractaires de la marine militaire n’y sont plus les seuls colons de race blanche : des marchands, des spéculateurs, des aventuriers de toute espèce, accourent, y bâtissent des maisons et s’y fixent. La race indigène, envahie, va peu à peu se mélanger et disparaître. Je ne sais si le gouvernement représentatif et indépendant ne fera pas bientôt place à une simple administration déléguée, relevant de quelque grande puissance étrangère  ; ce dont je ne doute pas, c’est que les institutions importées finiront par s’établir solidement dans ce pays, et le jour de leur triomphe verra, synchronisme nécessaire, la ruine totale des naturels.

À Saint-Domingue, l’indépendance est complète. Là, point de missionnaires exerçant une autorité voilée et absolue ; point de ministère étranger fonctionnant avec l’esprit européen : tout est abandonné aux inspirations de la population elle-même. Cette population, dans la partie espagnole, est composée de mulâtres. Je n’en parlerai pas. Ces gens paraissent imiter, tant bien que mal, ce que notre civilisation a de plus facile : ils tendent comme tous les métis, à se fondre dans la branche de leur généalogie qui leur fait le plus d’honneur ; ils sont donc susceptibles, jusqu’à un certain point, de mettre en pratique nos usages. Ce n’est pas chez eux qu’il faut étudier la question absolue. Passons donc les montagnes qui séparent la république dominicaine de l’État d’Haïti.

Nous nous trouvons là en face d’une société dont les institutions sont non seulement pareilles aux nôtres, mais encore dérivent des maximes les plus récentes de notre sagesse politique. Tout ce que, depuis soixante ans, le libéralisme le plus raffiné a fait proclamer dans les assemblées délibérantes de l’Europe, tout ce que les penseurs les plus amis de l’indépendance et de la dignité de l’homme ont pu écrire, toutes les déclarations de droits et de principes, ont trouvé leur écho sur les rives de l’Artibonite. Rien d’africain n’a survécu dans les lois écrites ; les souvenirs de la terre chamitique ont officiellement disparu des esprits ; jamais le langage officiel n’en a montre la trace ; les institutions, je le répète, sont complète-