Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 1.djvu/92

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Je suppose le cas où les populations de ce malheureux pays auraient pu agir conformément à l’esprit des races dont elles sont issues, où, ne se trouvant pas sous le protectorat inévitable et l’impulsion de doctrines étrangères, elles auraient formé leur société tout à fait librement et en suivant leurs seuls instincts. Alors, il se serait fait, plus ou moins spontanément, mais jamais sans quelques violences, une séparation entre les gens des deux couleurs.

Les mulâtres auraient habité les bords de la mer, afin de se tenir toujours avec les Européens dans des rapports qu’ils recherchent. Sous la direction de ceux-ci, on les aurait vus marchands, courtiers surtout, avocats, médecins, resserrer des liens qui les flattent, se mélanger de plus en plus, s’améliorer graduellement, perdre, dans des proportions données, le caractère avec le sang africain.

Les nègres se seraient retirés dans l’intérieur, et ils y auraient formé de petites sociétés analogues à celles que créaient jadis les esclaves marrons à Saint-Domingue même, à la Martinique, à la Jamaïque et surtout à Cuba, dont le territoire étendu et les forêts profondes offrent des abris plus sûrs. Là, au milieu des productions si variées et si brillantes de la végétation antillienne, le noir américain, abondamment pourvu des moyens d’existence que prodigue, à si peu de frais, une terre opulente, serait revenu en toute liberté à cette organisation despotiquement patriarcale si naturelle à ceux de ses congénères que les vainqueurs musulmans de l’Afrique n’ont pas encore contraints. L’amour de l’isolement aurait été tout à la fois la cause et le résultat de ces institutions. Des tribus se formant seraient, au bout de peu de temps, devenues étrangères et hostiles les unes aux autres. Des guerres locales auraient été le seul événement politique des différents cantons, et l’île, sauvage, médiocrement peuplée, fort mal cultivée, aurait cependant conservé une double population, maintenant condamnée à disparaître, par suite de la funeste influence de lois et d’institutions sans rapports