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sémitiques, ont même plusieurs points de ressemblance avec les caractères chananéens et hébreux, mais rien ne prouve que l’origine des uns et des autres soit locale et n’ait pas été apportée du nord-est par les premiers émigrants de race blanche (1)[1].



(1) Je ne saurais me rendre à l’observation qui a été faite, que les alphabets sémitiques ne peuvent convenir qu’aux langues auxquelles ils sont adaptés, parce qu’ils ne comptent pas de voyelles proprement dites. Ces langues ont toutes : י ,ר ,ה ,א, comme les Grecs ont α, ε, υ, ι, ο. Les runes, destinées incontestablement à des dialectes qui traitent les voyelles tout autrement que les idiomes sémitiques, n’ont pas même tous ces caractères : il leur manque l’ e. Le rôle de consonnes attribué, dans les temps historiques, aux lettres chananéennes que je viens de citer, ne s’oppose nullement à ce qu’on admette que, primitivement, elles ont été considérées sous un autre point de vue. — Consulter le travail de Gesenius, dans l’ Encycl. Ersch und Gruber, Palæographie, 3e section, IX Theil, p. 287. et pass. — Le problème de l’origine des alphabets est encore loin d’être éclairci comme il est désirable qu’il le devienne. Il tient d’aussi près que possible aux questions ethniques, et est destiné à prêter de grands secours à bien des solutions de détail. Il est, du reste, compliqué par une conception a priori, inventée au XVIIIe siècle et sur laquelle on se heurte, à chaque instant, quand il s’agit des grands traits, des caractères principaux de l’histoire humaine. Les gens qui font ce qu’ils appellent de la philosophie de l’histoire ont imaginé que l’écriture avait commencé par le dessin, que du dessin elle était passée à la représentation symbolique, et qu’à un troisième degré, à un troisième âge, elle avait produit, comme terme final de ses développements, les systèmes phonétiques. C’est un enchaînement fort ingénieux, à coup sûr, et il est vraiment fâcheux que l’observation en démontre si complètement l’absurdité. Les systèmes figuratifs, c’est-à-dire ceux des Mexicains et des Égyptiens, sont devenus, ou plutôt ont été, dès les premiers moments de leur invention, idéographiques, parce qu’en même temps qu’on a eu à donner la forme d’un arbre, d’un fruit ou d’un animal, il a impérieusement fallu exprimer par un signe graphique l’idée incorporelle qui motivait la représentation de ces objets. Or voilà un des deux degrés de transition supprimé. Quant au troisième, il ne semble pas s’être produit nécessairement, puisque ni les Mexicains, ni les Chinois, ni les Égyptiens n’ont fait sortir de leurs hiéroglyphes un alphabet proprement dit. Le procédé que les deux derniers de ces peuples emploient pour rendre les noms propres est la plus grande preuve à offrir que le principe sur lequel se base leur système de reproduction du langage oppose des obstacles invincibles à ce prétendu développement. Les écritures idéographiques sont donc nécessairement symboliques, et, d’autre part, n’ont aucun rapport, ni passé, ni

  1. (1) Je ne saurais me rendre à l’observation qui a été faite, que les alphabets sémitiques ne peuvent convenir qu’aux langues auxquelles ils sont adaptés, parce qu’ils ne comptent pas de voyelles proprement dites. Ces langues ont toutes : י ,ו ,ה ,א, comme les Grecs ont α, ε, υ, ι, ο. Les runes, destinées incontestablement à des dialectes qui traitent les voyelles tout autrement que les idiomes sémitiques, n’ont pas même tous ces caractères : il leur manque l’ e. Le rôle de consonnes attribué, dans les temps historiques, aux lettres chananéennes que je viens de citer, ne s’oppose nullement à ce qu’on admette que, primitivement, elles ont été considérées sous un autre point de vue. — Consulter le travail de Gesenius, dans l’ Encycl. Ersch und Gruber, Palæographie, 3e section, IX Theil, p. 287. et pass. — Le problème de l’origine des alphabets est encore loin d’être éclairci comme il est désirable qu’il le devienne. Il tient d’aussi près que possible aux questions ethniques, et est destiné à prêter de grands secours à bien des solutions de détail. Il est, du reste, compliqué par une conception a priori, inventée au XVIIIe siècle et sur laquelle on se heurte, à chaque instant, quand il s’agit des grands traits, des caractères principaux de l’histoire humaine. Les gens qui font ce qu’ils appellent de la philosophie de l’histoire ont imaginé que l’écriture avait commencé par le dessin, que du dessin elle était passée à la représentation symbolique, et qu’à un troisième degré, à un troisième âge, elle avait produit, comme terme final de ses développements, les systèmes phonétiques. C’est un enchaînement fort ingénieux, à coup sûr, et il est vraiment fâcheux que l’observation en démontre si complètement l’absurdité. Les systèmes figuratifs, c’est-à-dire ceux des Mexicains et des Égyptiens, sont devenus, ou plutôt ont été, dès les premiers moments de leur invention, idéographiques, parce qu’en même temps qu’on a eu à donner la forme d’un arbre, d’un fruit ou d’un animal, il a impérieusement fallu exprimer par un signe graphique l’idée incorporelle qui motivait la représentation de ces objets. Or voilà un des deux degrés de transition supprimé. Quant au troisième, il ne semble pas s’être produit nécessairement, puisque ni les Mexicains, ni les Chinois, ni les Égyptiens n’ont fait sortir de leurs hiéroglyphes un alphabet proprement dit. Le procédé que les deux derniers de ces peuples emploient pour rendre les noms propres est la plus grande preuve à offrir que le principe sur lequel se base leur système de reproduction du langage oppose des obstacles invincibles à ce prétendu développement. Les écritures idéographiques sont donc nécessairement symboliques, et, d’autre part, n’ont aucun rapport, ni passé, ni présent, ni futur, avec la méthode de décomposition élémentaire et de représentation abstraite des sons. Elles restent ce qu'elles sont, et n'atteignent pas à un but logiquement contraire au principe fondamental de leur construction primitive. — Peut-on affirmer de même que les alphabets phonétiques que nous possédons ne soient pas des descendants de systèmes idéographiques oubliés ? Poser une telle question, c'est, je le sais, affronter des axiomes qui ont acquis force de loi, mais qu'on juge de leur valeur. On part du type phénicien comme paradigme, comme souche de toutes les écritures phonétiques, et l'on veut que X (hébreu) représente le cou et la forme du chameau ; (.X.), de même, est censé rappeler parfaitement un œil  ; (.X.) une maison ou une tente, etc. Pourquoi ? c'est que (.X.) et (.X.) sont les initiales de (.X.), de (.X.) et de (.X.). Mais (.X.) l'est également de (.X.), qui veut dire un puits, de (.X.) qui signifie un bouc, et, si l'on consent à examiner les choses sans prévention, on conviendra que (.X.) ressemble tout autant à un puits ou à un bouc qu'à un chameau. On pourrait trouver, sans nulle peine, d'aussi nombreuses analogies pour toutes les lettres de l'alphabet. Il suffit d'un peu de bonne volonté. Voilà ce que c'est que le système qui fait dériver, inévitablement, les alphabets phonétiques des séries idéographiques, et voilà les puissantes raisons sur lesquelles il s'appuie. Aussi est-il nécessaire d'y renoncer, et au plus tôt.
    D'autant mieux que les études actuelles sur les alphabets assyriens font découvrir une nouvelle méthode graphique qui, de quelque façon qu'on la torture, ne saurait nullement être rapprochée du dessin symbolique. Ces combinaisons claviformes affichent, bien certainement, la prétention la mieux justifiée à ne présenter la pensée qu'au moyen de signes abstraits.
    Puis, au besoin, on pourrait citer encore tels modes d'écriture qui ne sont ni idéographiques, ni phonétiques, ni syllabiques, mais seulement mnémoniques, et qui se composent de traits sans autre signification que celle qui leur est attribuée par l'écrivain. Ce dernier système, fort imparfait, assurément, et privé du pouvoir d'exprimer des mots, rappelle seulement au lecteur certains objets ou certains faits déjà connus. L'écriture lenni-lenape est de ce genre.
    Voilà donc, la question étant prise en gros, quatre catégories de ressources graphiques employées par les hommes pour garder la trace à leurs pensées. Ces quatre catégories sont fort inégales en mérite, et atteignent bien diversement le but pour lequel elles sont inventées. Elles résultent d'aptitudes très spéciales chez leurs créateurs, de façons très particulières de combiner les opérations de l'esprit et de déduire les rapports des choses. Leur étude approfondie mène à des résultats pleins d'intérêt, et sur les sociétés qui s'en servent, et sur les races dont elles émanent.