Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 2.djvu/233

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Précisément les raisons qui la poussaient si chaudement dans le parti libéral, qui lui en avaient fait appliquer les théories, qui l’avaient désignée pour servir, en quelque sorte, de seconde capitale à la révolution, ces raisons-là, par leur énergie, la conduisaient bien au delà d’une simple réforme politique. Si elle ne goûtait pas la domination des lars et des lucumons, c’était, avant tout, parce que ceux-ci, avec les meilleurs droits de se dire ses fondateurs, ses éducateurs, ses maîtres, ses bienfaiteurs (1)[1], n’avaient pas celui d’ajouter qu’ils étaient ses concitoyens. Dans la débilité de ses premiers jours, elle avait trouvé un grand profit, une véritable nécessité à se faire protéger par eux  ; mais, pourtant, son sang ne s’était pas fondu avec le leur, leurs idées n’étaient pas devenues les siennes, ni leurs intérêts ses intérêts. Au fond, elle était sabine, elle était sicule, elle était hellénisée, puis encore elle était séparée géographiquement de l’Étrurie : elle lui était donc, en fait, étrangère, et voilà pourquoi la réaction des Tarquiniens ne pouvait avoir là qu’un temps de succès plus court que dans les autres villes, réellement étrusques, et pourquoi, l’aristocratie tyrrhénienne une fois renversée, on devait s’attendre à ce que Rome se précipitât dans les nouveautés fort au delà de ce que souhaitaient les libéraux de l’Étrurie. Bien plus, nous allons voir, tout à l’heure, la ville émancipée revenir sur les théories libérales, source première de sa jeune indépendance, et rétablir l’aristocratie dans toute sa plénitude. Les révolutions, d’ailleurs, sont remplies de pareilles surprises.

Ainsi Rome, après un temps de soumission aux Tarquiniens, réussit à accomplir un soulèvement heureux (2)[2]. Elle chassa



(1) Dans la guerre de Romulus contre les Sabins de Quirium, le roi romain avait été ouvertement soutenu par une armée étrusque sous le commandement d’un lucumon de Solonium ; celui-ci avait partagé l’autorité avec lui. (Dionys. Halic., Antiq. Rom., 2, XXXVII)

(2) La domination des Tarquiniens avait été, matériellement parlant, on ne peut plus heureuse pour Rome. Ces nobles pleins de génie l’avaient beaucoup embellie. Ils y avaient importé la construction en pierres quadrangulaires sans ciment. (Abeken, ouvr. cité, p. 141.) Ils avaient étendu ses fortifications en agrandissant son enceinte. (O. Muller, ouvr. cité, p. 120.) Ils y avaient fait venir des artisans

  1. (1) Dans la guerre de Romulus contre les Sabins de Quirium, le roi romain avait été ouvertement soutenu par une armée étrusque sous le commandement d’un lucumon de Solonium  ; celui-ci avait partagé l’autorité avec lui. (Dionys. Halic., Antiq. Rom., 2, XXXVII)
  2. (2) La domination des Tarquiniens avait été, matériellement parlant, on ne peut plus heureuse pour Rome. Ces nobles pleins de génie l’avaient beaucoup embellie. Ils y avaient importé la construction en pierres quadrangulaires sans ciment. (Abeken, ouvr. cité, p. 141.) Ils avaient étendu ses fortifications en agrandissant son enceinte. (O. Muller, ouvr. cité, p. 120.) Ils y avaient fait venir des artisans habiles de toutes les villes d'Étrurie : « Fabris undique ex Etruria accitis. » (Liv., I.) Ils avaient placé Rome à la tête de la confédération latine, détruite de fait par la chute d'Alba Longa. (Abeken, ouvr. cité, p. 52.) Ils avaient même augmenté cette confédération en y réunissant quarante-sept villes nouvelles, tant en deça qu'au delà du Tibre. (Ibidem.) Enfin, des cités telles que Circeii et Signia avaient été fondées, ou du moins agrandies par eux. Rome fit donc une très mauvaise affaire dès le premier moment où sa séparation d'avec Tarquinii fut consommée. L'œuvre entière de l'habileté tyrrhénienne s'écroula, du reste, en même temps. La confédération fut dissoute et le parti aristocratique très affaibli dans toute l'étendue de la domination étrusque. (O. Muller, ouvr. cité, p. 124.)