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fin de la république. Quand on lit qu’au temps de Cicéron, l’annonce d’un prodige météorologique suffisait encore pour faire rompre les comices et lever la séance, alors que les hommes politiques se moquaient non seulement des prodiges, mais des dieux même, on trouve là certainement un indice irrécusable d’un grand respect pour la loi, même jugée absurde (1)[1].

Les Romains furent ainsi le premier peuple d’Occident qui sut faire tourner au profit de sa stabilité, en même temps que de sa liberté, ces sortes de défauts de la législation qui sont ou organiques ou produits par les changements survenus dans les mœurs. Ils constatèrent qu’il y avait dans les constitutions politiques deux éléments nécessaires, l’action réelle et la comédie, vérité si bien reconnue et exploitée depuis par les Anglais. Ils surent pallier les inconvénients de leur système par leur patience à chercher et leur habileté à découvrir les moyens de paralyser les vices de la législation, sans toucher jamais à ce grand principe de vénération sans bornes dont ils avaient fait leur palladium, marque évidente d’une raison saine et d’une grande profondeur de jugement.

Enfin rien de tout ce qu’on pourrait accumuler d’exemples ne rendrait plus claires les différences de la liberté grecque et de la romaine que ce simple mot : les Romains étaient des hommes positifs et pratiques, les Grecs des artistes ; les Romains sortaient d’une race mâle, les Grecs s’étaient féminisés ; et c’est pourquoi les Romains Italiotes purent conduire leurs successeurs, leurs héritiers au seuil de l’empire du monde avec tous les moyens d’achever la conquête, tandis que les



(1) M. d’Eckstein (Recherches historiques sur l’humanité primitive) a peint avec succès l’immobilité des idées romaines. Ses paroles s’adressent surtout à la religion, mais on peut sans difficulté en faire l’application à la loi. « Tandis que nous vivons, dit cet écrivain, dans une plus ou moins heureuse inconséquence de nos œuvres et de nos pensées, les vieux peuples poussaient l’esprit de conséquence souvent jusqu’aux dernières limites de l’absurde... Seuls les Grecs ont pu s’affranchir jusqu’à un certain point de cette tyrannie dans leurs temps religieux même ; jamais les Romains, esclaves absolus de leurs rites et du forum sacré. » (P. 63.)

  1. (1) M. d’Eckstein (Recherches historiques sur l’humanité primitive) a peint avec succès l’immobilité des idées romaines. Ses paroles s’adressent surtout à la religion, mais on peut sans difficulté en faire l’application à la loi. « Tandis que nous vivons, dit cet écrivain, dans une plus ou moins heureuse inconséquence de nos œuvres et de nos pensées, les vieux peuples poussaient l’esprit de conséquence souvent jusqu’aux dernières limites de l’absurde... Seuls les Grecs ont pu s’affranchir jusqu’à un certain point de cette tyrannie dans leurs temps religieux même ; jamais les Romains, esclaves absolus de leurs rites et du forum sacré. » (P. 63.)