Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 2.djvu/283

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d’usage quotidien, enfin ce dégoût effrayé de l’avenir, et ce sont là des malheurs bien autrement avilissants pour les sociétés. Quant aux éventualités politiques, interrogez la foule romaine. Plus rien ne lui répugne, plus rien ne l’étonne. Les conditions que les peuples homogènes exigent de qui veut les gouverner, elles en ont perdu jusqu’à l’idée. Hier c’était un Arabe qui montait sur le trône, demain ce sera le fouet d’un berger pannonien qui mènera les peuples. Le citoyen romain de la Gaule ou de l’Afrique s’en consolera en pensant qu’après tout ce ne sont pas là ses affaires, que le premier gouvernant venu est le meilleur, et que c’est une organisation acceptable que celle où son fils, sinon lui-même, peut à son tour devenir l’empereur.

Tel était le sentiment général au IIIe siècle, et, pendant seize cents ans, tous ceux, païens ou chrétiens, qui ont réfléchi à cette situation ne l’ont pas trouvée belle. Les politiques comme les poètes, les historiens comme les moralistes, ont déversé leur mépris sur les immondes populations auxquelles on ne pouvait faire accepter un autre régime. C’est là le procès que des esprits d’ailleurs éminents, des hommes d’une érudition vaste et solide s’efforcent aujourd’hui de faire réviser. Ils sont emportés à leur insu par une sympathie bien naturelle et que les rapprochements ethniques n’expliquent que trop.

Ce n’est pas qu’ils ne tombent d’accord de l’exactitude des reproches adressés aux multitudes de l’époque impériale ; mais ils opposent à ces défauts de prétendus avantages qui, à leurs yeux, les rachètent. De quoi se plaint-on ? du mélange des religions ? Il en résultait une tolérance universelle. Du relâchement de la doctrine officielle sur ces matières ? Ce n’était rien que l’athéisme dans la loi (1)[1]. Qu’importent les effets d’un tel exemple partant de si haut ?

À ce point de vue, l’avilissement et la destruction des grandes familles, voire même des traditions nationales qu’elles conservaient,



(1) Tibère avait émis cette maxime toute moderne : « Deorum injurias diis curæ. » (Tacit., Ann., liv. I, 73.) C’était à propos de la loi sur les crimes de lèse-majesté, dont il cherchait à étendre les effets, non pour les dieux, mais pour lui.

  1. (1) Tibère avait émis cette maxime toute moderne : « Deorum injurias diis curæ. » (Tacit., Ann., liv. I, 73.) C’était à propos de la loi sur les crimes de lèse-majesté, dont il cherchait à étendre les effets, non pour les dieux, mais pour lui.