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Ce droit survivait, énervé à la vérité, parce que le caprice d’en haut en troublait en mille occasions l’exercice, mais il existait seul, privé de bien des avantages et offrant tous les inconvénients de l’esprit de clocher.

Les écrivains démocratiques font grand éclat du titre de citoyen conféré à l’univers entier par Antonin Caracalla. J’en suis moins enthousiaste. La plus belle prérogative n’a de valeur que lorsqu’elle n’est pas prodiguée. Quand tout le monde est illustre, personne ne l’est plus, et ce fut ainsi qu’il en advint à la cohue innombrable des citoyens provinciaux (1)[1].

Tous ils furent astreints à payer l’impôt, tous ils devinrent passibles des peines que la jurisprudence impériale appliquait ; et, sans souci de ce qu’eût pensé de cette innovation le civis romanus d’autrefois, on les soumettait à la torture quand s’en présentait la moindre tentation juridique. Saint Paul avait dû à sa qualité civique réclamée à propos un traitement d’honneur ; mais les confesseurs, les vierges de la primitive Église, bien que décorés du droit de cité, n’en étaient pas moins menés en esclaves. C’était désormais l’usage commun. L’édit de nivellement put donc plaire un jour aux sujets, en leur montrant abaissés ceux qu’ils enviaient naguère ; mais, pour eux, il ne les releva pas : ce fut simplement une grande prérogative abolie et jetée à l’eau (2)[2].

Et quant aux sénats municipaux, maîtres, soi-disant, d’administrer leurs villes suivant l’opinion de la localité, leur félicité n’était pas non plus si grande qu’on le donne à croire (3)[3]. Je



(1) Rien ne fut changé par la constitution de Caracalla dans le mode d’administration des villes, aucun avantage nouveau ne fut introduit, et Savigny n’y aperçoit qu’une simple évolution de l’état personnel des gouvernés. (Geschichte des rœmischen Rechtes im Mittelalter, t. I, p. 63.)

(2) Pour n’en citer qu’un exemple, voir ce que dit Suétone de l’administration financière de Vespasien. (Vesp., 16.)

(3) Consulter, sur l’organisation municipale pendant l’époque impériale, l’ Histoire du droit municipal en France, par M. Raynouard, Paris, 1829, 2 vol. in-8o, et l’ Histoire critique du pouvoir municipal en France, par C. Leber, Paris, 1829, in-8o. — Bien que spécialement destinés à l’examen des institutions gallo-romaines, ces deux ouvrages renferment un grand nombre d’observations générales. M. Raynouard,


  1. (1) Rien ne fut changé par la constitution de Caracalla dans le mode d’administration des villes, aucun avantage nouveau ne fut introduit, et Savigny n’y aperçoit qu’une simple évolution de l’état personnel des gouvernés. (Geschichte des rœmischen Rechtes im Mittelalter, t. I, p. 63.)
  2. (2) Pour n’en citer qu’un exemple, voir ce que dit Suétone de l’administration financière de Vespasien. (Vesp., 16.)
  3. (3) Consulter, sur l’organisation municipale pendant l’époque impériale, l’ Histoire du droit municipal en France, par M. Raynouard, Paris, 1829, 2 vol. in-8o, et l’ Histoire critique du pouvoir municipal en France, par C. Leber, Paris, 1829, in-8o. — Bien que spécialement destinés à l’examen des institutions gallo-romaines, ces deux ouvrages renferment un grand nombre d’observations générales. M. Raynouard, homme de cabinet et d’origine provençale, est un admirateur enthousiaste des idées et des procédés romains. M. Leber, érudit d’un immense savoir, mais en même temps administrateur pratique, et né dans une province moins complètement romanisée que M. Raynouard, est infiniment plus prudent dans ses éloges, et souvent cette prudence va jusqu’au blâme. Ce sont deux ouvrages curieux, bien que le second soit supérieur au premier. J’en ai beaucoup usé dans ces pages ; mais comme, malheureusement, je ne les ai pas sous les yeux, je suis réduit à citer de souvenir. — Savigny, Geschichte des rœmischen Rechtes im Mittelalter, in-8o, Heidelberg, 1815, t. I, p. 18 et pass.