Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 2.djvu/301

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Mais, dans l’ordre civil, il en était tout autrement : les choses ne s’y passaient pas si bien.

Là, un homme, le premier venu, qu’une combinaison fortuite des principes ethniques accumulés dans sa famille rendait quelque peu supérieur à son père et à ses voisins, se mettait le plus souvent à travailler dans un sens étroit et égoïste, indépendant du bien social. Les professions lettrées étaient naturellement la tanière où se tapissaient ces ambitions, car là, pour captiver l’attention et agiter le monde, il n’est besoin que d’une feuille de papier, d’un cornet d’encre et d’un médiocre bagage d’études. Dans une société forte, un écrivain ou un orateur ne se mettent pas en crédit sans être d’une haute volée. Personne ne s’arrêterait à écouter des massacres, car tout le monde a sur chaque chose le même parti pris et vit dans une atmosphère intellectuelle plus ou moins délicate, mais toujours sévère. Il n’en est pas de même aux temps des dégénérations. Chacun ne sachant que croire, ni que penser, ni qu’admirer, écoute volontiers celui qui l’interpelle, et ce n’est plus même ce que dit l’histrion qui plaît, c’est comme il le dit, et non pas s’il le dit bien, mais s’il le présente d’une manière nouvelle, et pas même nouvelle, mais bizarre, seulement inattendue. De sorte que, pour obtenir les bénéfices du mérite, il n’est pas nécessaire d’en avoir, il suffit de l’affirmer, tant on a affaire à des esprits appauvris, engourdis, dépravés, hébétés.

À Rome, depuis des siècles et à l’image de la Grèce croupissante, elle aussi, dans la période sémitique, la carrière de tout adolescent sans fortune et sans courage était celle du grammairien. Le métier consistait à composer des pièces de vers pour les riches, à faire des lectures publiques, à prêter sa plume aux factums, aux pétitions, aux mémoires destinés aux curiales, voire aux préfets des provinces. Les téméraires risquaient des libelles, au risque de voir quelque jour leur dos et leur muse ressentir la mauvaise humeur d’un tribunal peu littéraire (1)[1]. Beaucoup encore se faisaient délateurs. La plupart



(1) Suet., Dom., 8 : « Scripta famosa, vulgoque edita, quibus primores

  1. (1) Suet., Dom., 8 : « Scripta famosa, vulgoque edita, quibus primores viri ac feminæ notabantur, abolevit non sine auctorum ignominia. »