Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 2.djvu/313

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Italiotes, les Grecs, les Africains, les Espagnols, les Gaulois amenés, pour la protection de leurs intérêts, devant son tribunal.

Et, en effet, si ce magistrat avait dû faire appel à sa force d’invention, celle-ci se fût adressée aussitôt à sa conscience. Or il était Romain, il avait les notions de son pays sur le juste et l’injuste ; il eût argumenté en Romain et, tout couramment, appliqué les prescriptions des Douze Tables, les plus belles du monde à ses yeux. C’était précisément là ce qu’il lui était commandé d’éviter. Il n’existait que pour ne pas prononcer ainsi. Il était donc tout naturellement forcé de s’enquérir des idées de ses justiciables, de les étudier, de les comparer, de les apprécier, et de tirer, pour son usage, des résultats de cette recherche, une conviction officielle, qui devenait pour lui le droit naturel, le droit des gens, le jus gentium. Mais ce pot-pourri de doctrines positives ainsi combiné par un individu isolé, aujourd’hui magistrat, demain néant, n’avait rien d’évidemment juste et vrai. Aussi changeait-il avec les préteurs. Chacun d’eux arrivait en charge avec le sien, qui était contredit au bout de l’année d’exercice par celui d’un autre. Suivant que tel ou tel juge comprenait ou connaissait mieux telle législation étrangère, celle d’Athènes ou de Corinthe, de Padoue ou de Tarente, c’était la coutume d’Athènes, de Corinthe, de Padoue ou de Tarente qui composait la meilleure part de ce que, cette année-là, on nommait à Rome le droit des gens.

Quand le mélange romanisé fut à son comble, on s’ennuya avec raison de cette indigente mobilité. On força les prætores peregrini à juger d’après des règles fixes, et, pour se procurer ces règles, on eut recours à la seule ressource admissible : on étudia, compila, amplifia des articles de lois pris dans tous les codes dont on put acquérir connaissance, et l’on produisit ainsi une législation sans nulle originalité, une législation qui ressemblait parfaitement aux races métisses et épuisées qu’elle était appelée à régir, qui avait gardé quelque chose de toutes, mais quelque chose d’indécis, d’incertain, d’à peine reconnaissable, et qui, dans cet état, se trouva convenir si bien à l’ensemble de la société qu’elle étouffa l’esprit sabin resté dans les