Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 2.djvu/315

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mais, en mille endroits, en Angleterre, en Suisse, dans telles contrées de l’Allemagne, les mœurs le repoussent. En France même et en Italie, on ne saurait l’accepter sans des modifications profondes. Ce n’est donc pas la raison écrite, comme on l’a dit ambitieusement. C’est la raison d’un temps, d’un lieu, vaste sans doute, mais loin de l’être autant que la terre. C’est la raison spéciale d’une agglomération d’hommes, et nullement de la plupart des hommes ; en un mot, c’est une loi locale, comme toutes celles qui furent jusqu’ici. Ce n’est donc, en aucune manière, une invention qui mérite le nom d’universelle. Elle n’est pas suffisante pour se gagner toutes les consciences et réglementer tous les intérêts humains. Dès lors, puisqu’elle est si loin de pouvoir revendiquer avec justice un tel caractère ; puisque, d’ailleurs, elle ne contenait rien qui ne provienne d’une source qui, dans sa pureté, n’appartenait pas à Rome ; puisqu’elle n’a rien d’entier, de vivant, d’original, la loi romaine ne se trouve pas douée d’une action civilisatrice plus puissante que celle des autres législations. Elle ne fait donc pas exception, elle n’est qu’un résultat et non pas une cause de culture sociale ; elle ne saurait en aucune façon servir à caractériser une civilisation particulière.

Si le droit était ainsi dénué de principes vraiment nationaux, on en peut dire tout autant de l’administration, je l’ai montré ailleurs, et ce qu’on blâme aujourd’hui, avec tant de raison, dans les empires asiatiques modernes, cette indifférence profonde pour le gouverné, qui ne connaît le gouvernant et n’est connu de lui qu’à l’occasion de l’impôt et de la milice, existait absolument au même degré dans la Rome républicaine et dans la Rome impériale. La hiérarchie des fonctionnaires et leur manière de procéder étaient semblables, avec une nuance de despotisme de plus, à celle qui régissait les Perses, modèle que les Romains ont imité beaucoup plus souvent qu’on ne l’a dit. Du reste, l’administration comme la justice civile restaient soumises, dans la pratique, aux notions de moralité communément reçues. C’est sur ces points que l’on reconnaît combien l’empire des Césars est loin d’avoir rien produit de nouveau, d’avoir mis en circulation une idée ou un fait qui ne lui fût pas antérieur.