Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 2.djvu/415

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les gens timides, qui s’étaient tenus à l’écart jusque-là, tous les amis secrets de la domination impériale reprenaient courage ; on allait répétant avec eux que le pouvoir des aigles pouvait être un mal, mais qu’après tout Petilius Cerialis avait eu raison de dire aux Belges que c’était un mal nécessaire et qu’en dehors il n’y avait que la ruine. Cela dit, on rentrait la tête basse dans le bercail romain.

Cette singulière inaptitude d’indépendance se révéla sous toutes ses faces. On eût dit que le sort prenait plaisir à la pousser à bout. Il arriva un jour aux Gaulois de posséder un empereur à eux. Une femme le leur avait donné, et ne leur demandait que de le soutenir contre le concurrent d’Italie. Cet empereur, Tetricus, eut à lutter contre les mêmes impossibilités où s’étaient brisées les insurrections précédentes, et, bien qu’appuyé par les légions germaniques, qui le maintenaient contre le mauvais vouloir ou plutôt contre la légèreté chronique de ses peuples, il crut bien faire, et fit bien sans doute, d’échanger son diadème contre là préfecture de la Lucanie. Les États éphémères rentrèrent dans le devoir, en murmurant peut-être, au fond très satisfaits de n’avoir pas lâché un pouce de leurs jalousies municipales.

L’expérience journalière le démontrait donc : les Gaulois du Ier et du IIe siècle de notre ère n’avaient que des qualités martiales ; mais ils les avaient à un degré supérieur. Ce fut pour ce motif qu’impuissants dans leur propre cause, ils exercèrent une influence momentanée si considérable sur le monde romain sémitisé.

Certainement le Numide était un adroit cavalier, le Baléare un frondeur sans pareil ; les Espagnols fournissaient une infanterie qui bravait toute comparaison, et les Syriens, encore infatués des souvenirs d’Alexandre, donnaient des recrues d’une réputation aussi grande que justifiée. Cependant tous ces mérites pâlissaient devant celui des Gaulois. Ses rivaux de gloire, basanés et petits, ou du moins de moyenne taille, ne pouvaient lutter d’apparence martiale avec le grand corps du Trévire ou du Boïen, plus propre que personne à porter légèrement sur ses larges épaules le poids énorme dont la discipline