Page:Godefroy - Dictionnaire de l'ancienne langue française, 1883, T02, CASTE-DYA.djvu/14

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Toujours j’ai voulu que l’œuvre fût essentiellement mienne, et à aucun prix je n’aurais consenti à me décharger entièrement sur personne d’aucun des soins qu’elle comporte. Mais la prévoyance a ses exigences, et ceux qui travaillent le plus savent le mieux comprendre l’insuffisance du temps, si bien soit-il employé. C’est pourquoi jamais, même dans les époques les plus rudes de ma vie, je n’ai reculé devant les sacrifices nécessaires pour doubler, tripler, décupler le temps. C’est pourquoi aussi je remercie continuellement la Providence de m’avoir ménagé des dévouements spontanés et admirablement désintéressés.

Au moment où il me fallait réviser entièrement et refondre en grande partie, d’après le plan nouveau que je m’étais tracé, mon Dictionnaire de l’ancienne langue française, au moment surtout, — moment retardé tant d’années, — où je commençais cette publication si difficile et si délicate, j’avais besoin d’un aide particulier pouvant donner à ces longues et minutieuses tâches la plus grande partie de son temps, l’application quotidienne et régulière de son esprit. Je l’ai trouvé dans la personne d’un des meilleurs élèves de M. Gaston Paris, Monsieur J. Bonnard, qui s’était déjà distingué comme philologue par son travail sagace sur le participe passé, et que l’Académie des Inscriptions vient de récompenser pour son importante étude sur les traductions françaises de la Bible antérieures à 1380. Je ne saurais assez louer son exactitude, son application, son zèle, ni le remercier assez de tous les services qu’il a rendus jusqu’à cette heure et que je désire fort qu’il continue de rendre jusqu’au bout à mon œuvre.

En même temps que j’avais la bonne fortune de rencontrer pour la publication de mon Dictionnaire le concours si intelligent et si dévoué de M. J. Bonnard, venaient spontanément et généreusement s’offrir à moi, sans que je les connusse, de points très éloignés de la France, deux auxiliaires précieux au delà de toute expression, M. L. Taulier, ancien professeur au lycée de Lyon, chevalier de la Légion d’honneur, et M. A. Delboulle, professeur au lycée du Havre, dont la valeur lexicographique s’est révélée par ses Matériaux pour servir à l’historique du français qui ont mérité les éloges de M. G. Paris. A tous les deux, lecteurs bénévoles de toutes mes premières épreuves, et sur qui je puis compter jusqu’à la fin, chacune de mes feuilles doit une grande quantité de corrections, de redressements, de compléments de titres, d’exemples et même de mots nouveaux.

Longue serait la liste de ceux qui m’ont aidé avec un zèle bienveillant, si je les nommais tous ; mais il en est que je ne puis omettre de signaler : MM. Gaston Paris, Arsène Darmesteter, Auguste Scheler, Adolf Tobler, toujours d’une obligeance si sympathique quand je les ai consultés ; M. Auguste Prost qui, avec le regretté M. de Salis, a souvent mis à mon service sa connaissance profonde des textes messins ; M. Charles Royer, le modèle — plusieurs le savent comme moi — du dévouement et du désintéressement, M. Charles Royer qui m’a été si utile pour des collations de manuscrits ou de livres rares, et surtout pour la vérification, sur les meilleures éditions, des textes du xvie siècle ; MM. J. Garnier, Alfred Jacob, Jules Gauthier, Dehaisnes, Boutillier, dont le concours toujours empressé et quelquefois l’active participation à mes dépouillements ont tant contribué à rendre fructueuses mes explorations annuelles dans les archives de provinces ; M. Boucher de Molandon et Mlle de Foulques de Villaret qui m’ont si gracieusement ouvert leurs trésors puisés aux archives municipales d’Orléans ; enfin M. Léon Amyot qui s’acquitte avec tant de conscience et de scrupule, dans les loisirs de ses soirées, de la charge que lui a confiée, à mon grand profit, M. Vieweg mon éditeur, délire l’avant-dernière épreuve en page de chaque feuille du Dictionnaire.

Et ce ne sont pas seulement de bienveillants philologues, des hommes serviables et des amis que j’ai à remercier, c’est encore ma propre famille ; car tout ce que j’ai de plus proche et de plus cher au monde a prêté un vaillant concours à celte œuvre dévorante. Dévorante en effet, car à son service est mort un de mes aides les plus constants et les plus actifs, mon frère Eugène, ouvrier de la première heure, qui eût été si heureux et qui méritait si bien de voir l’achèvement de ce Dictionnaire qu’il avait aimé de l’amour le plus dévoué.

Puisse le succès final apporter quelque joie à tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, m’auront secondé dans cette entreprise si longue, si dure, si ingrate ! Pour moi, ce qui soutiendra jusqu’au parachèvement mes forces et mon courage, c’est la satisfaction d’avoir fourni à la science un contingent de faits tout neufs et de découvertes personnelles dont chacun, malgré toutes les imperfections que je n’aurai pu éviter, fera son profit. Si je ne présente pas encore le dictionnaire complet, le Thesaurus de l’ancienne langue française, cette publication, quand elle sera terminée, constituera du moins un Glossaire si vaste qu’il rendra presque inutiles les glossaires particuliers.

L’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres le sait maintenant, comme le savaient déjà, depuis quelque temps, plusieurs savants français et étrangers, les diverses parties de ma vaste entreprise lexicographique sont menées simultanément, de manière à pouvoir se succéder sans interruption, même celle qui a pour objet la langue moderne depuis le dix-septième siècle jusqu’à nos jours. Si ma vie ne durait pas assez pour pouvoir publier cette dernière partie, je la léguerais à l’Académie française qui y trouverait une riche mine pour son Dictionnaire historique.

Quoi qu’il doive advenir, je persévérerai jusqu’à la fin avec le même courage, en me rappelant sans cesse la devise que j’avais choisie dans ma laborieuse jeunesse :

Invia tenaci nulli est via.