Page:Godwin - Caleb Williams, I (trad. Pichot).djvu/148

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Ce tableau ne fut pas absolument sans effet sur le cœur endurci de M. Tyrrel.

« Fort bien, monsieur, je ne suis pas un tyran ; je sais fort bien que c’est une vilaine chose que la tyrannie. Mais voulez-vous inférer de ceci que ces gens-là seront les maîtres de faire tout ce qui leur plaira, et qu’on ne pourra pas les traiter comme ils le méritent ?

M. Tyrrel, je vois que votre animosité commence un peu à fléchir. Permettez que j’invoque en vous ce sentiment de bienveillance auquel votre âme vient de s’ouvrir ; allons ensemble chez Hawkins. Ne parlons pas de ce qu’il mérite, le malheureux ! il a souffert tout ce que la nature humaine peut souffrir. Allons, qu’un généreux pardon de votre part soit un gage de bon voisinage et d’amitié entre vous et moi.

— Non, monsieur, je ne me rends pas. Je conviens qu’il y a du spécieux dans ce que vous dites. Je n’ignore pas que vous savez toujours arranger une histoire à votre fantaisie, et lui donner de belles apparences ; mais je ne me laisse pas ainsi mener. Quand j’ai mis une fois un projet dans ma tête, je ne m’en dépars jamais ; c’est là mon caractère, et je n’en changerai pas. J’ai relevé Hawkins quand il était abandonné de tout le monde ; je lui ai donné un état, et, pour ma peine, le misérable a fait tout ce qu’il a pu pour m’offenser. Que je sois maudit si jamais je lui pardonne ; il serait vraiment bien plaisant que j’allasse faire grâce à l’insolence d’une de mes créatures, et cela à la sollicitation d’un homme comme vous, qui a toujours été mon fléau.