Page:Godwin - Caleb Williams, I (trad. Pichot).djvu/153

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il n’eut pas plutôt obtenu un moment de calme, qu’il se mit à repasser dans sa tête toutes les circonstances de l’événement. Ses plaintes étaient si pleines d’amertume, que, pour un observateur tranquille, il aurait été à la fois un objet de pitié par ses souffrances, et d’horreur par sa dépravation. Il se rappelait toutes les précautions qu’il avait prises ; il n’avait rien négligé ; il n’y avait pas la plus petite chose à redire à ses mesures, et il maudissait cette puissance aveugle et maligne qui se plaisait à déjouer ses projets les mieux concertés. Bien plus que tous les autres humains, il était l’objet de cette influence perfide. Pour s’abuser plus cruellement, il avait eu une ombre de pouvoir, et, au moment où il avait levé la main pour frapper, elle avait été tout à coup paralysée.

Il oubliait son récent triomphe sur Hawkins, ou peut-être le regardait-il comme un échec, parce qu’il n’était pas à la hauteur de ses ressentiments.

À quel propos le ciel lui avait-il donc donné la susceptibilité des injures et l’instinct de la vengeance, si les coups de son courroux étaient destinés à n’être jamais sentis ? Il suffisait qu’il fût l’ennemi de quelqu’un pour que celui-ci fût pleinement assuré contre les traits du malheur. Quelles insultes, quelles offenses réitérées n’avait-il pas eu à endurer de cette misérable petite fille ? Et par qui était-elle à présent arrachée à sa juste indignation ? Par ce même démon attaché à sa poursuite, ce démon qui le traversait à chaque pas dans ses desseins, qui prenait plaisir à lui enfoncer tous ses