Page:Godwin - Caleb Williams, I (trad. Pichot).djvu/22

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de violence. Quelquefois il était emporté, quinteux et tyrannique ; mais c’était moins l’effet d’un penchant à la dureté que du tourment intérieur de son âme ; et, dès que le moment de réflexion était venu, on voyait qu’il cherchait à ne faire tomber que sur lui seul tout le poids de son malheur. Quelquefois il n’était plus maître de lui-même et paraissait comme dans un état de démence. Il se frappait la tête, il fronçait les sourcils, ses traits devenaient convulsifs et il grinçait des dents. Quand il sentait l’approche de ces symptômes, il se levait brusquement ; quelle que fût l’affaire qui l’occupât, il l’abandonnait précipitamment et courait s’enfermer chez lui, où personne n’osait le troubler.

Il ne faut pas croire que tout ce que je viens de dire pût être remarqué par les personnes qui l’entouraient ; moi-même je ne l’ai appris que successivement, et après beaucoup de temps. Quant aux domestiques en général, ils voyaient très-peu leur maître. Excepté moi, à cause de la nature de mes fonctions, et M. Collins, son plus ancien serviteur et le plus considéré de tous, aucun d’eux n’approchait M. Falkland qu’à des heures fixes et pour très-peu de moments. Ils ne le connaissaient que par sa bienfaisance et son inflexible intégrité, principes qui semblaient régler toutes ses actions ; encore qu’ils se permissent quelquefois des conjectures sur ses singularités, ils ne le regardaient pas moins avec une sorte de vénération et comme un être d’un ordre supérieur.

Il y avait déjà trois mois que j’étais au service de