Page:Godwin - Caleb Williams, I (trad. Pichot).djvu/226

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pendant toute cette conversation ; mais en ce moment il devint plus dur et plus menaçant qu’auparavant. « Comment, misérable ! s’écria-t-il, vous voudriez me quitter, dites-vous ? Qui vous dit que j’aie envie de vous renvoyer !… mais vous ne pouvez supporter de vivre avec un être aussi profondément malheureux que je le suis ? vous n’avez pas le courage d’endurer les caprices d’un homme aussi chagrin et aussi injuste.

— Ah ! monsieur, ne me parlez pas ainsi ; faites de moi tout ce qu’il vous plaira, tuez-moi, si vous voulez.

— Que je vous tue ! »

(Il faudrait des volumes pour peindre les émotions avec lesquelles cet écho de ma dernière phrase sortit de sa bouche et frappa mon oreille.)

« Monsieur, continuai-je, je mourrais pour vous servir. Je vous aime plus que je ne puis l’exprimer ; je vous vénère comme un être d’une nature supérieure ; je suis un étourdi, un insensé, sans jugement et sans expérience… ; je suis cent fois pis que tout cela… ; mais jamais une pensée contraire à la fidélité que je vous dois n’est entrée dans mon cœur. »

Notre conversation finit là ; il est impossible de rendre l’impression qu’elle fit sur une âme jeune et simple comme la mienne. J’étais étonné, même transporté, quand je songeais aux égards et à la bonté que m’avait laissé voir M. Falkland à travers toute la sévérité de ses reproches. Je ne pouvais revenir de ma surprise de me voir, moi, pauvre, obscur et ignoré comme je l’étais, devenu tout à