Page:Goethe-Nerval - Faust Garnier.djvu/136

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MÉPHISTOPHÉLÈS.

Je m’assis près de son lit de mort : c’était un peu mieux que du fumier, de la paille à demi-pourrie ; mais il mourut comme un chrétien, et trouva qu’il en avait encore par-dessus son mérite. « Comme je dois, s’écria-t-il, me détester cordialement d’avoir pu délaisser ainsi mon état, ma femme ! ah ! ce souvenir me tue. Pourra-t-elle jamais me pardonner en cette vie ?… »

MARTHE, en pleurant.

L’excellent mari ! je lui ai depuis longtemps pardonné !

MÉPHISTOPHÉLÈS.

« Mais, Dieu le sait, elle en fut plus coupable que moi ! »

MARTHE.

Il ment en cela ! Quoi ! mentir au bord de la tombe !

MÉPHISTOPHÉLÈS.

Il en contait sûrement à son agonie, si je puis m’y connaître. « Je n’avais, dit-il, pas le temps de bâiller ; il fallait lui faire d’abord des enfants, et ensuite lui gagner du pain… Quand je dis du pain, c’est dans le sens le plus exact, et je n’en pouvais manger ma part en paix. »

MARTHE.

A-t-il donc oublié tant de foi, tant d’amour ?… toute ma peine le jour et la nuit ?…

MÉPHISTOPHÉLÈS.

Non pas, il y a sincèrement pensé. Et il a dit : « Quand je partis de Malte, je priai avec ardeur pour ma femme et mes enfants ; aussi le ciel me fut-il propice, car notre vaisseau prit un bâtiment de transport turc, qui portait un trésor du grand sultan ; il devint la récompense de notre courage, et j’en reçus, comme de juste, ma part bien mesurée. »

MARTHE.

Eh comment ? où donc ? Il l’a peut-être enterrée.