Page:Goethe-Nerval - Faust Garnier.djvu/226

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Chiron parle à Faust avec enthousiasme des héros de son temps, de Jason, d’Orphée et d’Achille, son élève. Mais Faust ne veut entendre parler que d’Hélène, la belle des belles, le type le plus pur de l’antique beauté.

Mais la beauté n’est rien selon Chiron, la grâce seule est irrésistible. Telle était Hélène quand elle s’assit sur son dos de coursier.

— Tu l’as portée ?

— Elle ? dit Chiron ? Oui, sur ce dos même où tu es assis. Elle se tenait comme toi à ma chevelure, où elle plongeait ses blanches mains, rayonnante de charmes, jeune, délices du vieillard.

— Elle avait à peine sept ans alors, n’est-ce pas ? dit Faust.

— Prends garde, observe Chiron, les philologues se trompent souvent et trompent les autres. C’est un être à part que la femme mythologique ; le poëte la crée selon sa fantaisie. Elle ne sera jamais majeure, jamais vieille ; elle a toujours l’aspect séduisant qui éveille les désirs. On l’enleva jeune, et, vieille, on la désire encore. En un mot, pour le poëte, le temps n’existe pas.

— Ainsi, dit Faust, le temps n’eut sur elle aucun empire ! Achille la rencontra bien à Phéra, en dehors de tout espace de temps. Quel étrange bonheur ! cet amour fut conquis sur le destin. Et ne puis-je, moi, par la seule force du désir, rappeler à la vie les formes abstraites et uniques, la créature éternelle et divine, aussi grande que tendre, aussi sublime qu’aimable ? Tu la vis jadis, et, moi, aujourd’hui, je l’ai vue, aussi belle que charmante, aussi belle que désirée ; maintenant, tout mon esprit, tout mon être en sont possédés. Je ne vis point si je ne puis l’atteindre.

Ici, Chiron juge que Faust a perdu la raison, il le renvoie à Manto, la fille d’Esculape, qui, moins sévère que Chiron, admire ce noble esprit humain possédé de la soif de l’impossible. Elle promet à Faust son aide puissante, et le guide vers l’antre obscur de Perséphone, creusé dans le pied du mont Olympe.