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LE CHŒUR.


J’ai beaucoup éprouvé, quoique la chevelure
Flotte, jeune encore, autour de mes tempes,
J’ai vu bien des spectacles d’horreur ;
Les malheurs de la guerre, la nuit d’Ilion,
Lorsqu’elle succomba ;
À travers les bruits pleins de nuages et de poussière
Des guerriers qui s’entre-choquaient, j’entendis les dieux
Crier avec fracas, j’entendis la Discorde
D’une voix d’airain retentir à travers champs
À l’entour des murailles.
Hélas ! ils étaient encore debout,
Les murs de Troie ; mais l’incendie.
Gagnant déjà de proche en proche,
Va se répandant çà et là,
Avec le souffle de la tempête.
Au-dessus de la ville endormie.
En fuyant, je vis, à travers la fumée, et la braise,
Et la flamme qui s’étendait comme une langue,
L’arrivée des dieux dans une effrayante colère.
Je vis s’avancer des figures merveilleuses
Aux formes gigantesques,
À travers la vapeur éclairée par le feu.
Si je le vis, ou si l’esprit, maîtrisé par l’angoisse,
M’a formé ces illusions,
Jamais je ne pourrais l’affirmer ;
Mais ce que je vois ici d’horrible,
Cela, je le sais sans en douter :
De la main je le toucherais,
Si je n’étais retenue par la crainte.
Laquelle des filles de Phorkyas peux-tu donc être ?
Car je te compare à cette race.
Es-tu une de celles qui n’ont qu’un œil et une dent
Qu’elles se repassent alternativement ?
Oses-tu bien, monstre,
À côté de la beauté,
Te montrer devant le regard connaisseur
De Phébus, le dieu du beau !
Mais avance toujours, avance !
Il ne contemple pas ce qui est laid ;
De même que jamais son œil sacré
N’a regardé l’ombre qui le suit.
Nous, mortels, hélas ! nous sommes condamnés
Malheureusement par la triste destinée
À avoir cette indicible douleur de la vue
Que fait naître ce qui est abominable, éternellement maudit