Page:Goethe-Nerval - Faust Garnier.djvu/426

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sont mes femmes. Ah ! les crânes roulent toujours… Ceux-ci, et ceux-ci, ce sont les crânes de mes enfants. Hélas ! ils ont pu mourir ! mais, moi, maudit, je ne le peux pas ! l’effroyable sentence pèse sur moi pour l’éternité !

« Jérusalem tomba… J’écrasai l’enfant à la mamelle ; je me jetai parmi les flammes ; je maudis le Romain dans sa victoire… Hélas ! hélas ! l’infatigable malédiction me protégea toujours… et je ne mourus pas ! — Rome, la géante, s’écroulait en ruines ; j’allai me placer sous elle ; elle tomba… sans m’écraser ! Sur ces débris, des nations s’élevèrent et puis finirent à mes yeux… moi, je restai, et je ne puis finir !

« Du haut d’un rocher qui régnait parmi les nuages, je me précipitai dans l’abîme des mers ; mais bientôt les vagues frémissantes me roulèrent au bord, et le trait de feu de l’existence me perça de nouveau. Je mesurai des yeux le sombre cratère de l’Etna, et je m’y jetai avec fureur !… Là, je hurlai dix mois parmi les géants, et mes soupirs fatiguèrent le gouffre sulfureux… hélas ! dix mois entiers ! Cependant, l’Etna fermenta, et puis me revomit parmi des flots de lave ; je palpitai sous la cendre, et je me mis à vivre.

« Une forêt était en feu ; je m’y élançai bien vite… toute sa chevelure dégoutta sur moi en flammèches, mais l’incendie effleura mon corps et ne put pas le consumer. Alors, je me mêlai aux destructeurs d’hommes, je me précipitai dans la tempête des combats… Je défiai le Gaulois, le Germain… mais ma chair émoussait les lances et les dards ; le glaive d’un Sarrasin se brisa en éclats sur ma tête : je vis longtemps les balles pleuvoir sur mes vêtements comme des pois lancés contre une cuirasse d’airain. Les tonnerres guerriers serpentèrent sans force autour de mes reins, comme autour du roc crénelé qui s’élève au-dessus des nuages.

« En vain l’éléphant me foula sous lui, en vain le cheval de guerre irrité m’assaillit de ses pieds armés de fer !… Une mine chargée de poudre éclata et me lança