Page:Goethe-Nerval - Faust Garnier.djvu/436

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séjour, où des objets chéris vivent encore, où gisent les dépouilles qu’elles ont naguère animées ; et si, dans le sommeil, l’image radieuse de la terre vient s’offrir encore de plus près à leurs yeux charmés, des rêves délicieux leur retracent les doux printemps qu’elles y ont passés, et leur paupière se rouvre baignée d’une fraîche rosée de larmes.

Mais, dès que l’ombre du cadran de l’éternité approche d’un siècle nouveau, alors, l’éclair soudain d’une vive douleur traverse le cœur de la mère des hommes ; car celles d’entre ses filles chéries qui n’ont point encore habité la terre, quittent la lune pour aller vêtir leurs corps, aussitôt qu’elles ont ressenti le froid engourdissement que projette l’ombre terrestre ; et la mère pleure en les voyant partir, parce que celles qui seront restées sans tache reviendront seules à la céleste patrie… Ainsi chaque siècle lui coûte quelques-uns de ses enfants, et elle tremble, lorsqu’en plein jour notre globe ravisseur vient comme un lourd nuage masquer la face du soleil.

L’ombre de l’éternel cadran approchait du xviiie siècle, notre terre allait passer, toute sombre, entre le soleil et la lune : et déjà la mère des hommes, interdite et profondément affligée, pressait contre son cœur celles de ses filles qui n’avaient point encore porté le vêtement terrestre ; et elle leur répétait en gémissant : « Oh ! ne succombez pas, mes enfants chéris ! conservez-vous purs comme des anges, et revenez à moi ! » Ici, l’ombre marqua le siècle, et la terre couvrit le soleil entier ; un coup de tonnerre sonna l’heure ; une comète à l’épée flamboyante traversa l’obscurité des cieux, et, du sein de la voie lactée, qui tremblait, une voix s’écria : « Parais, tentateur des hommes ! car l’Éternel envoie à chaque siècle un mauvais génie pour le tenter. »

À cet appel terrible, la mère et toutes ses filles frémirent à la fois, et ces âmes tendres fondaient en larmes, même celles qui avaient déjà habité la terre et en étaient revenues avec gloire. Soudain le tentateur, du sein de l’obscurité, se dressa sur notre globe ainsi qu’un arbre