Page:Goethe-Nerval - Faust Garnier.djvu/443

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guait : les conversations, les caresses et les jeux de ses compagnes lui étaient à charge ; leur joie lui semblait un sarcasme ; elle enviait leur sort tout en le méprisant, car elle ne pouvait concevoir, dans son imagination indépendante et vagabonde, cette gaieté à heures fixes, cette turbulence de plaisir qui meurt au premier coup de cloche sans se permettre d’achever la gambade commencée ; ce bonheur pareil à un chien attaché à une corde, qui saute, jappe, frétille et galope, court après sa queue, creuse le sable avec ses pattes, fait voler la poussière, mais que son collier étrangle lorsqu’il tend trop la chaîne, et veut dépasser l’étroit rayon qu’elle lui permet de parcourir. Elle ne comprenait rien à tout cela ; les études et les amusements du pensionnat lui paraissaient également puérils ; les manières roides et guindées des maîtresses et des sous-maîtresses, la prétentieuse pureté de leurs discours vides et froids, tout ce clinquant de phrases, tous ces oripeaux de mauvais aloi cousus à des guenilles fanées, ce badigeonnage oratoire plaqué sur le néant, ne disaient absolument rien ni à son cœur ni à sa tête ; les morceaux choisis qu’on lui lisait, afin de purifier son goût et d’abattre les angles trop prononcés de son caractère, lui faisaient l’effet d’une tisane claire et fade qu’on lui aurait fait avaler en lui ouvrant la bouche de force. Elle fut prêchée, grondée, mise en pénitence : ni plus ni moins, elle resta ce qu’elle était, ce que personne au monde n’avait été et ne sera jamais : Elle ! Rien n’y fit, car elle avait été coulée d’un seul jet, c’était une nature cubique et complète, à qui l’on ne pouvait rien ajouter sans produire une loupe ou une gibbosité, une nature pleine de sève et d’énergie, ayant surabondance et luxe d’animation, déversant son trop plein en sympathies ardentes et passionnées ; non une de ces natures pauvres et grêles qu’il faut achever de pièces et de morceaux, plus ou moins adroitement soudés, et dont il faut dissimuler la maigreur avec du coton et de l’ouate… En vérité, ce n’était pas cela ! Quoi donc ? La Poésie sous l’apparence d’une femme, votre rêve et le mien dans sa réalité, les battements de votre