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POÉSIES ALLEMANDES

rent soudain dans mon âme comme un éclair rapide et puissant. Plus d’éloignement funeste ! bien loin même l’idée d’une séparation nouvelle !

Par quel hasard merveilleux se trouvait-elle de retour ? quel rapport existait-il entre elle et la société du conseiller, qui ne m’avait jamais appris qu’il la connût ? Je ne m’arrêtai point un instant à ces pensées… Je la retrouvais enfin !

Immobile, tel qu’un homme frappé de la foudre, voilà comme j’étais sans doute.

Le conseiller me poussa doucement :

« Allons, mon ami, mon ami ! »

Machinalement, je m’avançai ; mais je ne voyais qu’elle, et de mon sein oppressé ces mots purent s’échapper à peine.

« Mon Dieu ! mon Dieu ! Julie ici ! »

J’étais auprès de la table à thé ; ce fut alors seulement que Julie m’aperçut. Elle se leva et me dit, du ton qu’on parlerait à un étranger :

« Je me réjouis beaucoup de vous rencontrer ici. Votre santé paraît bonne ! »

Puis elle se rassit, et, s’adressant à une dame auprès d’elle :

« Aurons-nous au théâtre quelque chose d’intéressant la semaine qui vient ? »

Tu t’approches d’une fleur charmante qui éclatait à tes yeux au milieu de parfums suaves et voluptueux ; mais, au moment où tu te penches pour en admirer les vives couleurs, voilà qu’un froid et venimeux basilic s’élance de sa corolle enflammée pour te lancer la mort avec ses yeux perfides… C’est ce qui venait de m’arriver. Je saluai gauchement les dames, et, pour ajouter encore le ridicule à ma profonde douleur, je coudoyai, en me retournant rapidement, le conseiller de justice, qui se trouvait derrière moi, et lui jetai hors des mains une tasse de thé fumant sur son jabot admirablement bien plissé ; on rit de l’infortune du conseiller et plus encore de ma maladresse. Ainsi tout, ce soir-là, tendait à me rendre exces-