Page:Goethe-Nerval - Faust Garnier.djvu/86

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

teau de satin empesé, la plume de coq au chapeau, une épée longue et bien affilée ; et je te donnerai le conseil court et bon d’en faire autant, afin de pouvoir, affranchi de tes chaînes, goûter ce que c’est que la vie.

FAUST.

Sous quelque habit que ce soit, je n’en sentirai pas moins les misères de l’existence humaine. Je suis trop vieux pour jouer encore, trop jeune pour être sans désirs. Qu’est-ce que le monde peut m’offrir de bon ? Tout doit te manquer, tu dois manquer de tout ! Voilà l’éternel refrain qui tinte aux oreilles de chacun de nous, et ce que, toute notre vie, chaque heure nous répète d’une voix cassée. C’est avec effroi que le matin je me réveille ; je devrais répandre des larmes amères, en voyant ce jour qui dans sa course n’accomplira pas un de mes vœux ; pas un seul ! Ce jour qui par des tourments intérieurs énervera jusqu’au pressentiment de chaque plaisir, qui sous mille contrariétés paralysera les inspirations de mon cœur agité. Il faut aussi, dès que la nuit tombe, m’étendre d’un mouvement convulsif sur ce lit où nul repos ne viendra me soulager, où des rêves affreux m’épouvanteront. Le dieu qui réside en mon sein peut émouvoir profondément tout mon être ; mais lui, qui gouverne toutes mes forces, ne peut rien déranger autour de moi. Et voilà pourquoi la vie m’est un fardeau, pourquoi je désire la mort et j’abhorre l’existence.

MÉPHISTOPHÉLÈS.

Et pourtant la mort n’est jamais un hôte très bien venu.

FAUST.

Ô heureux celui à qui, dans l’éclat du triomphe, elle ceint les tempes d’un laurier sanglant, celui qu’après l’ivresse d’une danse ardente, elle vient surprendre dans les bras d’une femme ! Oh ! que ne puis-je, devant la puissance du grand Esprit, me voir transporté, ravi, et ensuite anéanti !