Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome III.djvu/20

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Fabrice.

Je ne vous comprends pas.

Marianne.

C’est pourtant ainsi… Quand je m’éveille, j’écoute si mon frère est déjà levé ; s’il ne bouge pas, crac, je saute de mon lit à la cuisine ; j’allume le feu, afin que l’eau chaude vivement, en attendant que la servante se lève, et pour qu’il ait son café au moment où il ouvre les yeux.

Fabrice.

Petite ménagère !

Marianne.

Ensuite je m’assieds, et je tricote des bas pour mon frère, et j’ai assez d’occupation, et les lui mesure dix fois, pour voir s’ils sont assez longs, si la jambe va bien, si le pied n’est pas trop court, tant qu’il s’impatiente quelquefois. Et moi, ce n’est pas non plus pour mesurer, c’est seulement afin d’avoir quelque chose à faire auprès de lui ; afin qu’il soit forcé de me regarder une fois, après qu’il a écrit une couple d’heures, et pour qu’il n’engendre pas mélancolie. Car cela lui fait du bien de me regarder : je le vois dans ses yeux, quand même il ne veut pas me le laisser paraître. Je ris quelquefois en secret, de ce qu’il fait comme s’il était sérieux ou fâché. Il fait bien ; autrement je le tourmenterais tout le jour.

Fabrice.

Il est heureux.

Marianne.

Non, c’est moi qui le suis. Si je ne l’avais pas, je ne saurais qu’entreprendre dans le monde. Je fais cependant tout pour moi, et il me semble que je fais tout pour lui, parce que, même dans ce que je fais pour moi, je pense toujours à lui.

Fabrice.

Et quand vous feriez tout cela pour un mari, combien il serait heureux ! Combien il serait reconnaissant, et quelle vie de famille cela deviendrait !

Marianne.

Quelquefois aussi je me la représente, et, quand je suis assise à tricoter ou à coudre, je peux m’en conter bien long sur la manière dont tout pourrait aller et devrait aller. Mais, quand je reviens ensuite à la vérité, cela ne peut jamais s’arranger.