Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome III.djvu/21

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Fabrice.

Pourquoi ?

Marianne.

Où trouverais-je un mari qui fût content, si je disais : « Je veux vous aimer, » et devais aussitôt ajouter : « Je ne peux vous aimer plus que mon frère, pour lequel il faut que je puisse tout faire, comme jusqu’à présent… » Ah ! vous voyez que cela ne va pas.

Fabrice.

Vous feriez ensuite une part pour votre mari ; vous reporteriez sur lui l’amour…

Marianne.

Voilà le nœud ! Oui, si l’on pouvait trafiquer de l’amour comme de l’argent, ou s’il changeait de maître tous les quartiers, comme une mauvaise servante. Chez un mari, il faudrait d’abord tout ce qui déjà se trouve ici, ce qui ne pourra jamais être deux fois ainsi.

Fabrice.

Bien des choses s’arrangent.

Marianne.

Je ne sais, lorsqu’il est assis à table, et qu’il appuie la tête sur sa main, qu’il baisse les yeux et reste soucieux et rêveur, je puis être des heures assise à le regarder. « Il n’est pas beau, dis-je quelquefois en moi-même, et cela me fait tant de plaisir de le regarder ! » Oui, je sens bien à présent que c’est aussi pour moi qu’il s’inquiète ; oui, son premier regard me le dit, quand il relève les yeux, et cela c’est beaucoup.

Fabrice.

C’est tout Marianne. Et un mari qui aurait soin de vous !…

Marianne.

Encore une chose : vous avez vos caprices ; Guillaume a aussi ses caprices : de lui, ils ne me fâchent point ; de tout autre, ils me seraient insupportables. Il a de légères humeurs : je les sens pourtant quelquefois. Si, dans ces fâcheux moments, il repousse un sentiment amical, affectueux et tendre… cela me blesse !… mais ce n’est qu’un moment ; et, quand même je le gronde, c’est plutôt parce qu’il ne reconnaît pas mon amour que parce que je l’aime moins.