Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome III.djvu/23

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Marianne.

Fabrice, je n’ai jamais imaginé… Dans quel embarras me jetez-vous ?

Fabrice.

Un mot seulement ! Puis-je espérer ?

Marianne.

Parlez à mon frère.

Fabrice, à genoux.

Mon ange ! Ma bien-aimée !

Marianne, après un moment de silence.

Dieu ! qu’ai-je dit ? (Elle sort.)

Fabrice.

Elle est à toi !… Je puis permettre à la chère petite folle cet enfantillage au sujet de son frère : cela se passera peu à peu, quand nous aurons appris à nous mieux connaître, et il n’y perdra rien. Cela me charme d’aimer encore par hasard, d’être encore aimé. C’est une chose dont on ne perd jamais le goût… Nous habiterons ensemble. J’aurais d’ailleurs, depuis longtemps, mis volontiers un peu plus au large la consciencieuse économie du bonhomme : comme beau-frère, cela ira de soi-même. Autrement il deviendrait tout à fait hypocondre avec ses éternels souvenirs, ses scrupules, ses soucis de ménage et ses secrets. Tout sera pour le mieux ! Il respirera plus à l’aise, la jeune fille aura un mari… ce qui n’est pas peu de chose ; et toi, tu t’assures honorablement une compagne… ce qui est beaucoup. (Entre Guillaume.)

Fabrice.

Ta promenade est-elle finie ?

Guillaume.

Je suis allé par le marché et la rue des Prêtres et revenu par la Bourse. J’éprouve une singulière sensation, à me promener de nuit par la ville. Comme, après le travail du jour, tout jouit du repos ou se hâte d’y courir, tandis qu’on ne voit plus en mouvement que l’activité de la petite industrie ! Je m’amusais à observer une vieille marchande de fromage, qui, les lunettes sur le nez, auprès d’un bout de chandelle, mettait sur la balance un morceau après l’autre, et rognait et ajoutait, jusqu’à ce que l’acheteuse eût son poids !