Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome III.djvu/39

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m’a expressément ordonné de cacher à cet homme, qu’elle redoute, notre importante affaire.




LE CHANOINE.

Je dépends entièrement de sa volonté ; cet ordre pénible, je le respecterai aussi, bien que, j’en ai la conviction, la crainte de la princesse ne soit pas fondée. Ce grand homme nous aiderait plutôt que de nous nuire. Devant lui, toutes les conditions sont égales. Unir deux cœurs qui s’aiment est son occupation la plus agréable : « Mes élèves, a-t-il coutume de dire, sont des rois ; ils sont dignes de gouverner le monde et dignes de tous les bonheurs…. » Et si ses esprits l’avertissent, s’il voit que la défiance à son égard resserre nos cœurs, au moment qu’il nous ouvre les trésors de sa sagesse….

LA MARQUISE.

Tout ce que je puis dire, c’est que la princesse le demande expressément.

LE CHANOINE.

Soit ! je lui obéirai, quand même je devrais me perdre.

LA MARQUISE.

Et nous garderons aisément notre secret ; car nul ne peut soupçonner, même de loin, que la princesse vous est favorable.

LE CHANOINE.

En effet, chacun me croit en disgrâce, éloigné pour jamais de la cour. Les regards des personnes qui me rencontrent expriment la pitié et même le dédain. Je ne me soutiens que par une grande dépense, par le crédit de mes amis, par l’appui de quelques mécontents. Fasse le ciel que mes espérances ne soient pas trompeuses ! que ta promesse s’accomplisse !

LA MARQUISE.

Ma promesse ?… Ne parlez plus ainsi, mon cher ami. Jusqu’ici, c’était ma promesse ; mais, depuis ce soir, depuis que je vous ai apporté une lettre, n’ai-je pas mis avec elle dans vos mains les plus belles assurances ?

LE CHANOINE.

Je l’ai déjà baisée mille fois, cette lettre. (Il tire la hure de sa poche.) Laissez-moi la baiser mille fois encore ! Elle ne quittera pas mes lèvres, jusqu’au moment où ces lèvres brûlantes pourront s’attacher à sa belle main, à cette main qui me ravit d’une