Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IV.djvu/148

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rais beaucoup mieux fait de manger mon petit bien joyeusement, que de suer ici sous le fardeau avec ce petit bien. .Ce que tu as hérité de tes pères, reçois-le pour le posséder. Ce qu’on laisse sans emploi est un pesant fardeau ; les choses que le moment produit sont les seules dont il puisse user.

Mais pourquoi mon regard est-il fixé sur cette place ? Cette fiole là-haut est-elle un aimant pour mes yeux ï Pourquoi tout à coup cette aimable lumière, pareille au clair de lune, qui nous caresse de ses rayons dans une forêt ténébreuse ? Je te salue, fiole admirable, que je prends dans mes mains avec recueillement. En toi je révère l’esprit de l’homme et son savoir. Essence des sucs bienfaisants qui procurent le sommeil, extrait de toutes les forces subtiles qui donnent la mort, témoigne ta faveur à ton maître ! Je te vois et la douleur se calme ; je te saisis et le désir se modère ; l’agitation de l’esprit peu à peu s’apaise ; je suis appelé vers la haute mer ; le miroir des flots brille à mes pieds ; un nouveau jour m’attire vers de nouveaux rivages.

Un char de feu vole jusqu’à moi sur des ailes légères ; je me sens prêt à franchir l’éther par une route nouvelle, pour at- ; teindre aux nouvelles sphères de l’activité pure. Cette vie sublime, cette volupté des dieux, toi, vermisseau naguère, l’as-tu méritée ? Oui, ose seulement tourner le dos au doux soleil de la terre ; ose briser les portes devant lesquelles volontiers chacun passé sans bruit. Voici le moment de prouver par des actes que la dignité de l’homme ne le cède pas à la grandeur des dieux ; de ne pas trembler devant cette sombre caverne, dans laquelle l’imagination se condamne à ses propres tourments ; de s’élancer vers ce passage, dont l’étroite ouverture est assiégée par toutes les flammes de l’enfer ; de se résoudre gaiement à franchir ce pas, même au risque de s’abîmer dans le néant.

Eh bien ! descends, sors de ton vieil étui, coupe d’un pur cristal, à laquelle je n’avais pas songé depuis tant d’années ! Tu brillas dans les fêtes de mes pères ; tu réjouis les graves convives, quand l’un te faisait passer à l’autre ; l’élégance et la richesse de tes nombreuses figures, le devoir du buveur de les expliquer en vers et de te vider d’un seul trait, me rappellent maintes nuits de ma jeunesse : aujourd’hui je ne t’offrirai à