Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IV.djvu/75

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LA JEUNE FILLE.

Oui, et à nous toutes aussi ; car il nous quitte aujourd’hui le précieux enfant auquel nous lie depuis longtemps la plus heureuse habitude. Parle, comment la reine le souffrira-t-elle ? Rendra-t-elle, de sang-froid, ce cher nourrisson à son père ?

ÉVADNÉ.

Déjà l’avenir m’inquiète. L’ancienne douleur subsiste encore dans son âme ; la double perte d’un fils et d’un époux sont des blessures qui saignent encore. Et, quand l’agréable société de cet enfant lui sera retranchée, pourra-t-elle résister à son ancienne affliction ? Comme les spectres des enfers apparaissent surtout au solitaire, la froide et triste main du deuil effleure et remplit d’angoisse Antiope abandonnée. Et à qui rendra-t-elle ce nourrisson chéri ?

LA JEUNE FJLLE.

C’est aussi à quoi j’ai songé. Jamais elle n’aima le frère de son époux ; la dureté de cet homme la tenait bien éloignée. Nous n’aurions jamais cru qu’elle embrassât dans le fils de ce frère l’objet d’un tendre amour.

ÉVADNÉ.

S’il lui appartenait, comme ce jour la récompenserait de tous ses soins maternels ! Ce bel enfant, aux yeux de tout le peuple, brûlant d’impatience, s’élève solennellement, du cercle inférieur de l’enfance étroitement gardée, au premier degré de l’heureuse jeunesse : mais Antiope en jouit à peine. Tout un royaume la remercie de ses soins, hélas ! et le chagrin ne fait que gagner un nouvel accès et une nouvelle pâture dans son sein. Car, pour les plus difficiles et les plus nobles efforts, l’homme ne recueille pas autant de joie que la nature en dispense aisément avec un seul de ses dons.

LA JEUNE FILLE.

Ah ! quels beaux jours elle a vécus, avant que le bonheur s’éloignât d.e son seuil ; avant qu’il s’enfuit, en lui ravissant son époux, son fils, et la laisslt soudain désolée !

ÉvadnÉ.

Évitons de renouveler, par des plaintes si vives, le souvenir