Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/158

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« Veuillez demander à la jument si elle nous vendrait son pou« lain et à quel prix. * Je me rendis auprès d’elle et je risquai la drôlerie. *Ma chère dame la jument, lui dis-je, le poulain est « vôtre, je pense : le vendriez-vous peut-être ? Je voudrais bien « le savoir. « Elle répondit : « Si vous le payez bien, je pourrai « m’en dessaisir ; et la somme pour laquelle je consens à le ven« dre, vous pourrez la lire : elle est écrite sous mon pied de « derrière. » Je devinai ce qu’elle voulait et je répliquai : « Je « dois vous avouer que je ne sais guère lire et écrire, comme je

  • voudrais. D’ailleurs je ne demande pas l’enfant pour moi« même. C’est Ysengrin qui voudrait proprement savoir vos « conditions ; c’est lui qui m’envoie. — Faites-le venir, dit-elle ; « il apprendra la chose. » J’allai vers Ysengrin, qui restait à sa place et m’attendait. « Voulez-vous faire un bon repas ? lui « dis-je. Allez, la jument vous cédera le poulain ; le prix est « marqué sous le pied de derrière…. Je n’avais qu’à voir moi« même, a-t-elle dit ; mais, à mon vif chagrin, j’ai déjà manqué « mainte aubaine, parce que je n’ai pas appris à lire et à « écrire. Essayez, mon oncle, et voyez l’écriture : vous la corn« prendrez peut-être. » Ysengrin répondit : « Que ne lirais-je « pas ? Je le trouverais étrange ! Je sais l’allemand, le latin, le « welche et même le français : car j’ai fréquenté l’école à Erfurt, « sous les habiles et les doctes ; j’ai formulé-des questions et « des sentences avec les maîtres en droit ; j’ai pris mes licences « en forme ; et quelques écritures que l’on trouve, je puis les « lire comme si ce fût mon nom. Aussi la chose ne peut-elle « manquer aujourd’hui. Demeurez, je vais et je lirai l’écriture : « nous verrons bien. » II alla et dit à la dame : « Combien le « poulain ? Faites un prix raisonnable. » Elle répondit : « Vous

n’avez qu’à lire la somme : elle est écrite sous mon pied de « derrière. — Faites que je voie, reprit le loup. — C’est ce que je « fais, » dit-elle. Puis elle leva le pied de dessus l’herbe. Il était nouvellement garni de six clous. Elle frappa juste et ne s’écarta pas d’un poil. Elle l’atteignit à la tête ; il tomba par terre tout de son long, étourdi, comme inort. Mais elle s’enfuit au plus vite. 11 resta longtemps ainsi gisant et blessé. Au bout d’une heure, il revint à lui et hurla comme un chien. Je m’approchai et lui dis : « Monsieur mon oncle, où est la jument ? Le poulain avait-il