Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/218

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Oh ! qu’est-ce que l’homme, pour qu’il ose se plaindre ! Je veux, cher ami, je le promets, je veux me corriger ; je ne veux plus, comme je l’ai toujours fait, ruminer le moindre mal que le sort nous envoie ; je veux jouir du présent, et le passé sera pour moi le passé. Assurément tu as raison, cher ami : il y aurait ici-bas moins de souffrances, si les hommes (Dieu sait pourquoi ils sont ainsi faits !) ne s’appliquaient pas, avec tant d’efforts d’imagination, à rappeler le souvenir des douleurs passées au lieu de supporter un présent tolérable.

Veuille dire à ma mère que je m’occuperai de son affaire avec le plus grand soin, et que je lui en donnerai des nouvelles au premier jour. J’ai vu ma tante, et je n’ai pas trouvé en elle, tant s’en faut, la méchante femme que l’on disait chez nous. Elle est vive, emportée, mais d’un cœur excellent. Je lui ai exposé les griefs de ma mère sur cette part d’héritage qu’elle retient : elle m’a dit ses raisons, ses motifs et les conditions auxquelles elle serait prête à livrer tout, et plus que nous ne demandions. Bref, je ne veux rien t’en écrire aujourd’hui : dis à ma mère que tout ira bien. J’ai pu voir une fois de plus, mon cher ami, dans cette petite affaire, que les malentendus et la nonchalance causent dans le monde plus de querelles, peut-être que la ruse et la méchanceté, qui du moins sont certainement plus rares.

Du reste je me trouve fort bien ici. La solitude est pour mon âme un baume précieux dans ce paradis terrestre, et cette saison de la jeunesse échauffe de tous ses feux mon cœur, qui souvent frissonne. Chaque arbre, chaque buisson est un bouquet de fleurs, et l’on voudrait devenir une abeille, pour voltiger dans cette atmosphère embaumée et y puiser toute sa nourriture.

La ville, par elle-même, est désagréable ; mais, dans les environs, la nature est d’une inexprimable beauté. C’est ce qui avait engagé le feu comte de M…. à établir son jardin sur une des collines, qui se croisent avec une diversité charmante, et forment les plus agréables vallons. Le jardin est simple, et l’on s’aperçoit, dès l’entrée, que le plan n’en a pas été dessiné par un jardinier savant, mais par un homme sensible, qui voulait y jouir de lui-même. J’ai déjà donné plus d’une larme à sa mémoire dans le petit pavillon en ruine, qui était sa place favo-