Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/231

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Nos jeunes gens avaient arrangé un bal à la campagne, et je devais en être. J’offris d’accompagner une jeune fille de l’endroit, douce et belle, d’ailleurs insignifiante, et il fut convenu que je prendrais une voiture, que je conduirais ma danseuse et sa cousine au rendez-vous de fête, et que nous prendrions en chemin Charlotte S…. « Vous allez faire la connaissance d’une belle personne, me dit ma danseuse, comme nous traversions la grande forêt éclaircie, pour nous rendre à la maison de chasse. — Prenez garde, ajouta la cousine, d’en devenir amoureux. — Pourquoi donc ? lui dis-je. — Elle est, répondit-elle, déjà promise à un très-honnête homme, qui est parti, pour aller mettre en ordre ses affaires, parce que son père est mort, et pour solliciter un emploi considérable. » Ces détails m’étaient assez indifférents.

Il s’en fallait d’un quart d’heure encore que le soleil ne touchât la montagne, quand nous arrivâmes devant la porte de la cour. Il faisait une chaleur accablante, et les dames exprimèrent leur appréhension de voir éclater un orage, qui semblait se préparer dans de petits nuages grisâtres et sombres autour de l’horizon. J’apaisai leur crainte, en me donnant l’air de connaître le temps, bien que je commençasse moi-même à soupçonner que notre fête serait troublée.

J’étais descendu de voiture, et une servante, qui parut à la porte de la cour, nous pria d’attendre un moment : Mlle Charlotte viendrait bientôt. Je traversai la cour, et m’avançai vers la maison bien bâtie, et, lorsque j’eus monté l’escalier du perron et franchi la porte, mes yeux furent frappés du plus charmant spectacle que j’aie vu de ma vie. Dans la salle d’entrée, six enfants de deux à onze ans sautillaient autour d’une belle jeune fille, de moyenne taille, qui portait une simple robe blanche, avec des nœuds de rubans rosés aux bras et au sein. Elle tenait un pain bis, et coupait tour à tour à chacun des petits son morceau, à proportion de leur âge et de leur appétit. Elle servait chacun, de l’air le plus gracieux, et chacun criait naïvement son merci…, après avoir tenu longtemps ses petites mains en l’air, avant même que le morceau fût coupé. Après quoi, munis de leur goûter, les uns s’éloignèrent sautant de joie, les autres, d’un caractère plus posé, se rendirent tran-