Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/308

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se mêlait un dépit secret contre le mari. En chemin, ses pensées tombèrent aussi sur ce sujet. « Oui, oui, se disait-il, avec une sourde colère, voilà cette union intime, affectueuse, tendre et toujours sympathique ! cette paisible et constante fidélité ! Ce n’est que satiété et indifférence. L’affaire la plus misérable ne l’occupe-t-elle pas plus que cette chère et précieuse femme ? Sait-il apprécier son bonheur ? Sait-il estimer Charlotte comme elle le mérite ? Elle est à lui ! fort bien, elle est à lui !… Je sais cela, comme je sais autre chose. Je crois être accoutumé à cette pensée : elle me rendra furieux, elle me tuera…. Et son amitié pour moi, a-t-elle persisté ? Déjà ne voit-il pas, dans mon attachement à Charlotte, une atteinte à ses droits ; dans mes attentions pour elle, un secret reproche ? Je le sais bien, je le sens, il me voit de mauvais œil, il désire que je m’éloigne : ma présence lui pèse. »

Souvent il ralentissait sa marche rapide, souvent il s’arrêtait, et semblait vouloir retourner sur ses pas, mais il poursuivait toujours son chemin ; et, avec ces pensées et ces monologues, il était enfin arrivé, comme malgré lui, à la maison de chasse.

Il entra, il demanda des nouvelles du vieillard et de Charlotte. Il trouva dans la maison quelque mouvement. L’aîné des fils lui dit qu’il était arrivé u-n malheur à Wahlheim ; un paysan venait d’être assassiné…. Cela ne fit sur lui aucune impression particulière…. 11 entra dans la chambre, et trouva Charlotte occupée à dissuader le vieillard, qui, malgré sa maladie, voulait se transporter sur les lieux pour faire l’enquête. Le coupable était encore inconnu ; on avait trouvé la victime le matin devant la porte de la maison. On formait des conjectures : le mort était le domestique d’une veuve, qui en avait eu auparavant un autre, lequel était sorti de la maisen en mauvais termes.

A cette nouvelle, Werther tressaillit. «Est-ce possible ? s’écria-t-il. J’y vais, il le faut : je ne puis tarder un moment. » II courut à Wahlheim. Tous ses souvenirs se réveillèrent, et il ne douta pas un instant que le coupable ne fût ce jeune homme auquel il avait parlé souvent, et qui lui était devenu si cher.

Comme il passait sous les tilleuls, pour se rendre au cabaret où l’on avait déposé le corps, il fut saisi d’horreur, à la vue de cette place, qu’il avait tant aimée. Le seuil sur lequel les enfants