Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/64

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s’avança familièrement et l’embrassa avec tendresse ; leurs mains se pressèrent ; les femmes se taisaient et pleuraient.

Là-dessus le bon et sage pasteur se hâta de prendre d’abord la main du père, et il tira de son doigt l’anneau nuptial (non sans efforts ; il était retenu par la phalange arrondie) ; ensuite il prit l’anneau de la mère, et fiança les enfants. Il dit :

« Que ces anneaux d’or soient destinés encore une fois à former un nœud durable, qui ressemble parfaitement à l’ancien. Le jeune homme éprouve pour la jeune fille un amour profond, et la jeune fille avoue à son tour que le jeune homme est l’objet de ses vœux : ainsi donc je vous unis et vous bénis pour l’avenir, selon la volonté de vos parents, et en présence de votre ami. »

Aussitôt le voisin s’inclina, en prononçant des paroles de bénédiction. Mais, quand le pasteur voulut mettre l’anneau d’or au doigt de la fiancée, il fut surpris de voir celui qu’Hermann avait déjà remarqué, non sans inquiétude, au bord de la fontaine, et il dit avec un gracieux badinage :

«Eh quoi ! te voilà déjà promise pour la seconde fois ? Pourvu que le premier fiancé ne se présente pas à l’autel pour s’opposer au mariage. »

Mais elle répondit :

» Oh ! laissez-moi consacrer un moment à ce souvenir. Car il le mérite bien, le bon jeune homme qui me donna cet anneau à son départ, et qui n’est pas revenu dans la patrie. Il avait tout prévu, quand soudain l’amour de la liberté, le désir de prendre part à la révolution nouvelle, l’entraînèrent à Paris, ou il trouva la prison et la mort. » Sois heureuse, me dit-il ; je pars : car « tout s’ébranle aujourd’hui sur la terre, tout semble se divi« ser ; les lois des États les mieux affermis sont renversées ; la « propriété se sépare de l’ancien propriétaire, l’ami se sépare « de l’ami : ainsi l’amour se sépare de l’amour. Je te quitte. Si « je dois te retrouver un jour…, qui le sait ? C’est ici peut-être « notre dernier entretien…. On le dit avec raison, l’homme « n’est qu’un étranger sur la terre ; et aujourd’hui, plus que «jamais, chacun est devenu étranger : le sol ne nous appartient « plus ; les trésors voyagent ; l’or et l’argent perdent dans le « creuset leurs formes antiques et sacrées. Tout s’agite, comme si