Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/108

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n’est pas dépourvu, et qu’il n’est pas rare non plus de rencontrer dans la vie ordinaire : car, le caractère de nos compatriotes étant de faire le bien sans beaucoup d’éclat, ils songent rarement qu’il est aussi une manière de le faire avec grâce et délicatesse, et, poussés par un esprit de contradiction, ils tombent aisément dans le défaut de présenter en contraste, par une humeur grondeuse, leur vertu favorite. Notre comédien jouait fort bien ces rôles, et les jouait si souvent et si exclusivement, qu’il en avait pris les allures dans la vie ordinaire.

Wilhelm fut saisi d’une grande émotion en le reconnaissant : il se rappela combien de fois il avait vu cet homme sur le théâtre, à côté de sa chère Marianne ; il entendait encore le vieillard gronder ; il entendait la voix caressante avec laquelle, dans plusieurs de ses rôles, la jeune fille devait répondre à sa brusquerie.

On commença par demander vivement aux nouveaux venus si l’on pouvait trouver ou espérer ailleurs un engagement. La réponse, hélas ! fut négative, et l’on eut le regret d’apprendre que les troupes auxquelles on s’était adressé étaient complètes : quelques-unes même craignaient d’être forcées de se dissoudre, à cause de la guerre dont on était menacé. Le dépit et l’amour du changement avaient fait abandonner au vieux bourru et à ses deux filles un excellent engagement ; il avait rencontré le pédant et loué avec lui une voiture pour se transporter dans cette ville, où ils purent voir qu’on n’était pas moins embarrassé.

Tandis que les comédiens s’entretenaient vivement de leurs affaires, Wilhelm restait pensif. Il désirait entretenir le vieillard en particulier ; il désirait et craignait d’apprendre ce que Marianne était devenue, et il se trouvait dans la plus grande inquiétude.

La gentillesse des jeunes personnes qui venaient d’arriver ne pouvait le tirer de sa rêverie, mais une dispute, qui s’éleva, fixa son attention. Frédéric, le petit blondin qui servait Philine, résista cette fois vivement, quand il dut mettre la table et servir le repas.

«  Je me suis engagé à vous servir, lui cria-t-il, mais non pas à servir tout le monde. »

Ils entrèrent là-dessus dans un vif débat : Philine lui disait