Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/124

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plus vive, si Wilhelm n’avait salué le chanteur, qui parut à la porte, et ne lui avait fait signe d’approcher.

L’extérieur de cet homme étrange étonna toute la compagnie, et il avait déjà pris possession d’un siège, avant que personne eût osé l’interroger, ni faire aucune observation. Sa tête chauve ne portait qu’une légère couronne de cheveux gris ; de grands yeux bleus pleins de douceur, brillaient sous de longs sourcils blancs ; son nez était d’une belle forme ; sa longue barbe blanche ne cachait point ses lèvres gracieuses, et une grande robe brune enveloppait sa taille élancée et flottait jusqu’à ses pieds. Il ne tarda pas à préluder sur sa harpe, qu’il avait placée devant lui. Les agréables sons qu’il tirait de son instrument charmèrent bientôt la société.

«  Bon vieillard, dit Philine, on assure que vous chantez aussi ?

— Chantez-nous, dit Wilhelm, quelque chose qui charme l’esprit et le cœur, en même temps que les sens. L’instrument devrait se borner à soutenir la voix ; des mélodies, des passages et des tirades sans paroles me semblent des papillons ou de jolis oiseaux, qui voltigent çà et là sous nos yeux, et que nous voudrions quelquefois saisir et nous approprier, mais le chant s’élance vers le ciel comme un génie, et il invite la meilleure part de nous-mêmes à prendre l’essor avec lui. »

Le vieillard jeta les yeux sur Wilhelm, puis il les leva vers le ciel, tira quelques accords de sa harpe, et commença. Son hymne célébrait la louange du chant, la félicité des chanteurs, et invitait les hommes à les honorer. Il donnait à ses vers tant de vie et de vérité, qu’on eût dit qu’il les avait composés à l’instant même et pour cette occasion. Wilhelm eut peine à s’empêcher de sauter au cou du vieillard : la crainte d’exciter les éclats de rire le retint sur sa chaise, car les autres auditeurs faisaient déjà à demi-voix quelques sottes réflexions, et disputaient sur la question de savoir si cet homme était un juif ou un moine.

Quand on lui demanda quel était l’auteur des paroles, il ne fit aucune réponse précise. Il assura seulement qu’il savait beaucoup de chansons, et que tout son désir était qu’on voulût les entendre avec plaisir. La plupart des auditeurs étaient joyeux et charmés ;