Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/127

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— Oui, dit-elle, il serait sans doute fort agréable de se chauffer contre la glace.

— À tout prendre, dit Wilhelm, combien cet homme l’emporte sur plus d’un comédien ! Avez-vous remarqué comme était juste l’expression dramatique de ses romances ? Assurément il y avait dans son chant plus de drame et de vie que dans nos roides personnages sur la scène. On serait tenté de prendre pour un récit la représentation de maintes pièces, et ces récits chantés pour une scène qui se passe sous nos yeux.

— Vous êtes injuste, répliqua Laërtes. Je ne me donne ni pour un grand comédien ni pour un bon chanteur ; mais, croyez-moi, quand la musique dirige les mouvements du corps, leur donne de la vie et leur marque en même temps la mesure ; quand la déclamation et l’expression m’ont été notées par le compositeur, je suis un tout autre homme que dans le drame prosaïque, où je dois commencer par créer tout cela, trouver d’abord pour moi la mesure et la déclamation, que peut encore me faire oublier toute personne qui joue avec moi.

— Tout ce que je sais, dit Mélina, c’est que cet homme l’emporte sur nous en un point, et un point capital : la force de ses talents se montre dans le profit qu’il en tire. Nous, qui serons peut-être bientôt dans l’embarras de savoir où nous trouverons à dîner, il nous décide à partager notre dîner avec lui. Avec une chansonnette, il sait tirer de notre poche l’argent que nous pourrions employer à nous former quelque établissement. C’est un grand plaisir sans doute, de jeter par la fenêtre l’argent avec lequel on pourrait se créer une existence à soi et aux autres ! »

Cette observation ne donna pas à l’entretien un tour fort agréable. Wilhelm, à qui ce reproche était adressé, répondit avec quelque vivacité, et Mélina, qui ne se piquait pas de la plus grande politesse, finit par exposer ses griefs assez sèchement.

«  Voilà quinze jours, dit-il, que nous avons été voir le mobilier et la garde-robe du théâtre qui sont ici mis en gage, et nous pourrions les avoir pour une somme très-modique. Vous me donnâtes alors l’espérance que vous m’avanceriez cet argent, et je n’ai pas vu jusqu’à présent que vous ayez donné suite à la chose ou songé à prendre aucune résolution. Si vous en aviez pris une alors, nous serions à l’œuvre aujourd’hui. Votre projet de