Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/13

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Chapitre III

Si le premier amour est, comme je l’entends assurer généralement, le plus doux sentiment que puisse jamais éprouver un cœur, nous devons estimer trois fois heureux notre héros d’avoir pu goûter dans toute leur étendue les délices de ces incomparables moments. Peu d’hommes sont aussi favorisés ; la plupart ne trouvent dans leurs premières amours qu’une rude épreuve, dans laquelle, après de chétives jouissances, ils sont contraints de renoncer à leurs vœux les plus doux, et d’apprendre à se passer pour jamais de ce qui leur avait semblé la félicité suprême.

Sur les ailes de l’imagination, les désirs de Wilhelm s’étaient élevés jusqu’à la charmante jeune fille ; après quelques assiduités, il avait gagné son amour ; il possédait une personne qu’il aimait éperdument, que même il honorait : car elle lui était d’abord apparue à la lumière favorable d’une représentation théâtrale, et sa passion pour le spectacle s’unissait à un premier amour pour une femme. Sa jeunesse lui faisait goûter des torrents de plaisirs, qui étaient exaltés et entretenus par une vive poésie. La position même de son amante donnait à la conduite qu’elle observait un caractère qui enflammait encore les sentiments de Wilhelm : la crainte qu’il ne découvrît, avant le temps, son autre liaison lui prêtait une aimable apparence d’inquiétude et de pudeur ; sa passion pour lui était vive ; ses alarmes semblaient même augmenter sa tendresse : elle était dans ses bras la plus aimable des femmes.

Lorsqu’il s’éveilla de la première ivresse du plaisir, et qu’il reporta ses regards sur sa vie et sa position, tout lui sembla nouveau, ses devoirs plus sacrés, ses goûts plus vifs, ses connaissances