Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/15

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qui se fit à la rue. Marianne appela la vieille, qui, toujours occupée selon sa coutume, ajustait convenablement, pour la pièce prochaine, les costumes changeants de la garde-robe théâtrale. C’était, dit Barbara, une société de joyeux compagnons, qui sortait en tumulte de la Cave italienne, où ils n’avaient pas épargné le champagne, en mangeant des huîtres fraîchement arrivées.

«  C’est dommage, dit Marianne, que cette idée ne nous soit pas venue plus tôt : nous aurions pu nous régaler aussi.

— Il en est temps encore peut-être, repartit Wilhelm, en donnant à la vieille une pièce d’or. Procurez-nous ce que nous désirons, lui dit-il, et vous serez de la partie. »

La vieille fut alerte, et, en un moment, une table, avec une collation bien ordonnée, fut dressée devant les deux amants. Barbara fut invitée à prendre place ; on mangea, on but et l’on se réjouit.

En pareille circonstance, la conversation ne languit jamais : Marianne reprit son Jonathas, et la vieille sut amener l’entretien sur le sujet favori de Wilhelm.

«  Vous nous avez déjà parlé, lui dit-elle, de la première représentation d’une troupe de marionnettes, la veille de Noël : c’était un récit fort agréable. Vous fûtes interrompu, comme le ballet allait commencer. Maintenant nous connaissons le magnifique personnel qui produisait ces grands effets.

— Oui, dit Marianne, fais-nous part de tes impressions.

— Chère, Marianne, répondit Wilhelm, c’est avec un doux sentiment que l’on se rappelle le premier âge et ses innocentes erreurs, surtout à l’heure où l’on est parvenu heureusement sur une hauteur, d’où l’on peut regarder derrière soi et contempler la route parcourue. Il est si agréable de songer, en goûtant une satisfaction secrète, aux divers obstacles que souvent, avec un sentiment pénible, nous avions regardés comme insurmontables, et de comparer ce que nous sommes aujourd’hui, hommes faits, avec ce que nous étions alors, enfants sans expérience ! Mais j’éprouve en ce moment un bonheur inexprimable à parler avec toi du passé, parce qu’en même temps je contemple devant moi les belles contrées que nous pouvons parcourir ensemble, la main dans la main.