Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/153

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cours, dont les formes se distinguaient à peine dans les ténèbres. On tremblait de froid, on frissonnait ; les femmes avaient peur ; les enfants commençaient à pleurer ; l’impatience croissait à chaque moment, et un si soudain changement de fortune, auquel personne n’était préparé, les plongeait tous dans la consternation.

Comme ils s’attendaient, à chaque moment, à voir paraître quelqu’un qui viendrait leur ouvrir, trompés tantôt par la pluie tantôt par l’orage, et plus d’une fois ayant cru entendre les pas du concierge souhaité, ils restèrent longtemps oisifs et découragés. Aucun n’eut l’idée de se rendre au château neuf et d’y demander le secours de quelques âmes compatissantes. Ils ne pouvaient comprendre ce qu’était devenu leur ami le baron, et se trouvaient dans la situation la plus cruelle.

Enfin quelques personnes approchèrent ; mais on reconnut, à leurs voix, les piétons, que les voitures avaient laissés en arrière. Ils rapportèrent que le baron avait fait une chute de cheval, s’était blessé au pied grièvement, et qu’aux informations qu’ils avaient demandées, en arrivant au château, on avait répondu brutalement en les adressant ici.

Toute la troupe était dans la plus grande perplexité ; on délibérait sur ce qu’on devait faire, et l’on ne savait que résoudre. Enfin on vit venir de loin une lanterne, et l’on respira ; mais l’espérance d’une délivrance prochaine s’évanouit encore, quand on vit de plus près et distinctement ce que c’était. Un garçon d’écurie portait la lanterne devant l’écuyer que nous connaissons, et celui-ci, après s’être approché, demanda, d’un air très-empressé, Mlle Philine. Elle fut à peine sortie de la foule, qu’il offrit, d’une manière fort vive, de la conduire au château neuf, où une petite place était ménagée pour elle chez les femmes de la comtesse. Sans hésiter longtemps, elle accepta l’offre avec reconnaissance ; elle prit le bras de l’écuyer, et, après avoir recommandé sa malle à ses camarades, elle voulait partir bien vite avec lui ; mais on leur barra le passage, on questionna, on pria, on conjura l’écuyer, si bien que, pour s’échapper avec sa belle, il promit et assura qu’on leur ouvrirait tout à l’heure le château, et qu’on les y logerait au mieux. Bientôt ils virent la lanterne disparaître, et ils attendirent longtemps en vain