Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/179

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qui, à tout prendre, étaient fort bien entretenus, élevèrent leurs prétentions, à mesure que leur position devenait meilleure. Bientôt la table, le service, le logement, leur semblèrent misérables, et ils réclamèrent du baron, leur protecteur, des soins plus attentifs, enfin les jouissances et la vie commode qu’il leur avait promises. Leurs plaintes devinrent plus bruyantes, et les efforts de leur ami pour y faire droit, toujours plus infructueux.

Sur ces entrefaites, Wilhelm ne se montrait guère qu’aux répétitions et aux heures de spectacle. Enfermé dans une des chambres les plus écartées, où Mignon et le joueur de harpe étaient seuls admis avec plaisir, il vivait dans le monde de Shakespeare, étranger et insensible à tout ce qui se passait au dehors.

On parle d’enchanteurs, qui, par des formules magiques, évoquent dans leur laboratoire une foule innombrable de fantômes divers ; les conjurations sont si puissantes, qu’elles remplissent bientôt la chambre tout entière ; et les esprits, poussés jusqu’au cercle étroit que l’enchanteur a tracé, se meuvent, toujours plus nombreux, autour du cercle et sur la tête du maître, tourbillonnant et se transformant sans cesse ; tous les recoins en sont remplis, toute corniche est occupée ; des œufs se développent et se distendent, et des figures gigantesques se réduisent en champignons : malheureusement le magicien a oublié le mot par lequel il pourrait contraindre ce déluge de fantômes à refluer. Telle était la situation de Wilhelm, et, avec une émotion toute nouvelle, il s’éveillait en lui mille sensations, mille facultés, dont il n’avait eu jusqu’alors aucune idée, aucun pressentiment. Rien ne pouvait l’arracher à cette situation, et il était fort mécontent, si quelqu’un saisissait l’occasion de venir à lui, pour l’informer de ce qui se passait au dehors.

Aussi fit-il à peine attention, quand on lui vint annoncer qu’il allait se faire dans la cour du château une exécution ; que l’on devait fouetter un jeune garçon, qui s’était rendu suspect d’effraction nocturne, et qui, portant l’habit de perruquier, était, selon toute vraisemblance, un des meurtriers du pédant. Le jeune garçon niait, il est vrai, obstinément la chose : aussi ne pouvait-on lui faire subir le châtiment légal, mais on voulait,