Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/203

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poche les beaux ducats de la comtesse, qu’il se croyait pleinement en droit de dépenser gaiement, et il oubliait bien vite qu’il les avait pompeusement mis en ligne de compte dans son bilan.

Son ami Shakespeare, qu’il reconnaissait aussi avec joie comme son parrain, et qui lui rendait plus cher le nom de Wilhelm, lui avait fait connaître un prince[1] qui passe quelque temps dans une société vulgaire et même mauvaise, et qui, malgré la noblesse de son caractère, trouve de quoi se divertir dans la rudesse, les incongruités et la sottise de ses grossiers compagnons. Il se complaisait fort dans cet idéal, avec lequel il pouvait comparer sa situation présente, et il lui devenait, de la sorte, extraordinairement facile de se faire illusion, plaisir qui avait pour lui un charme irrésistible.

Il commença par songer à son costume. Il trouva qu’une petite veste, sur laquelle on jette au besoin un manteau court, est un habillement fort commode pour un voyageur. Un pantalon de tricot et des bottines lacées étaient la véritable tenue d’un piéton. Puis il fit emplette d’une belle écharpe de soie, dont il se ceignit d’abord, sous prétexte de se tenir le corps chaud ; en revanche, il secoua le joug de la cravate, et fit coudre à ses chemises quelques bandes de mousseline, assez larges pour ressembler parfaitement aux collets antiques ; le beau fichu de soie, souvenir sauvé d’entre ceux de Marianne, était négligemment noué sous le collet de mousseline ; un chapeau rond, avec un ruban bariolé et une grande plume, complétaient la mascarade.

Les dames assuraient que ce costume lui allait parfaitement. Philine en était, disait-elle, enchantée. Elle pria Wilhelm de lui donner ses beaux cheveux, qu’il avait fait couper impitoyablement, pour se rapprocher toujours plus de son idéal. Elle se

  1. Le prince Harry (plus tard Henri V) figure dans les deux parties de Henri IV. Voici ce que Johnson, le commentateur de Shakspeare, dit à son sujet Le prince, qui est à la fois le héros de la partie tragique et de la partie comique, est un jeune homme très-habile et très-passionné, dont les sentiments sont droits, quoique ses actions soient mauvaises ; dont les vertus sont ternies par la négligence et l’esprit égaré par la légèreté. Quand les circonstances le forcent de produire ses qualités cachées, il se montre grand sans effort et brave sans éclat.