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210 LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE

maraudeurs et la canaille vagabonde, et même leur peindre le danger sous des couleurs si attrayantes et si gaies, que tous les esprits retrouvèrent leur sérénité.

Dès le premier moment, Laërtes s’était rangé de son côté ; il déclara qu’il ne voulait ni branler ni reculer ; le vieux bourru sut trouver, à sa manière, quelques paroles dans le même sens ; Philine se moqua de tout le monde, et Mme Mélina, à qui sa grossesse avancée n’avait point fait perdre son courage naturel, trouvant la motion héroïque, son mari, qui d’ailleurs espérait faire une grande économie à suivre la route la plus courte, pour laquelle il avait traité avec les voituriers, ne pouvait pas résister on adopta donc de grand cœur la proposition.

Alors on fit, à tout événement, des préparatifs de défense ; on acheta de grands couteaux de chasse, que l’on suspendit à des baudriers élégamment brodés ; Wilhelm mit de plus à sa ceinture une paire de pistolets ; Laërtes avait un bon fusil. On se mit en route avec une vive gaieté.

Le second jour, les voituriers, qui connaissaient le pays, proposèrent de faire la halte de midi sur le plateau d’une montagne boisée, parce que le village était fort loin, et que l’on prenait volontiers ce chemin dans les beaux jours.

Le temps était superbe, et chacun consentit aisément à cette proposition. Wilhelm prit les devants à pied, à travers la montagne tous les passants s’arrêtaient, a la vue de son étrange costume il montait la forêt d’un pas rapide et joyeux ; Laërtes allait sifflant derrière lui ; les femmes seules se faisaient traîner dans les voitures ; Mignon courait à côté, toute fière du couteau de chasse qu’on n’avait pu lui refuser, quand la troupe s’était armée ; elle avait entouré son chapeau du collier de perles que Wilhelm avait conservé de Marianne le blond Frédéric portait le fusil de Laërtes ; le joueur de harpe avait l’air le plus paisible du monde sa longue robe était retroussée et retenue par sa ceinture il en marchait plus lestement, un bâton noueux a la main ; son instrument était sur une des voitures. Lorsqu’ils eurent gagné la hauteur, non sans quelque fatigue, ils reconnurent aussitôt la place indiquée, aux beaux hêtres qui l’entouraient de leur ombrage. Une grande pelouse bocagère, doucement inclinée, invitait au repos ; une source,