Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/238

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234 LUS AXXHES D’APPnHNTISS.~rK

observez-le, quand il apprend que l’ombre de son père apparait ! Suivez-le dans la nuit terrible où le spectre vénérable se lève devant lui ! Une affreuse épouvante le saisit ; il apostrophe le fantôme, il le voit lui faire un signe, il le suit et l’écoute. La plus horrible accusation contre son oncle résonne à ses oreilles, puis un appel à la vengeance, et l’instante prière, deux fois répétée « Souviens-toi de moi ! »

« Et quand le fantôme a disparu, qui voyons-nous devant nos yeux ? Est-ce un jeune héros qui ne respire que vengeance ? Un prince légitime, qui se sent heureux qu’on l’invite à frapper l’usurpateur de sa couronne ? Non ! L’étonnement~et la mélancolie s’emparent du solitaire ; il a des railleries amères pour les coupables qui sourient ; il jure de ne pas oublier le mort, et finit en exhalant cette plainte significative « Le temps est sorti de ses voies malheur à moi, qui suis né pour l’y faire rentrer ! »

« Ces paroles me semblent expliquer toute la conduite du prince ; il est évident pour moi que Shakspeare a voulu peindre un grand acte imposé à une âme trop faible pour l’accomplir, et je vois cette pensée dominer dans toute la pièce. C’est un chêne planté dans’un vase précieux, qui n’aurait dû recevoir dans son sein que d’aimables fleurs les racines s’étendent et le vase est brisé.

« Un beau caractère, pur, noble, éminemment moral, sans la complexion vigoureuse qui fait le héros, succombe sous un fardeau, qu’il ne peut ni porter ni rejeter ; tous les devoirs sont sacrés pour lui celui-là est trop pesant. On lui demande l’impossible non l’impossible en soi, mais ce qui est impossible pour lui. Comme il se tourmente, se replie, s’agite, avance et recule, reçoit toujours de nouveaux avis, se les rappelle sans cesse, et finit presque par oublier son dessein, sans jamais retrouver la sérénité u )