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244 LES ANNEES D’APPRENTISSAGE

vous me semblez faire, en l’honneur de votre poète, ce que d’autres font en l’honneur de la Providence vous lui attribuez un but et un plan auxquels il n’a pas songé. D

CHAPITRE XVI.

« Permettez-moi, dit Aurélie. de vous faire à mon tour une question. J’ai revu le rôle d’Ophélie il me plaît, et je me flatte de pouvoir le jouer sous certaines réserves. Mais, dites-moi, le poëte n’aurait-il pas dû mettre dans la bouche de l’insensée d’autres chansonnettes ? Ne pourrait-on choisir des fragments de ballades mélancoliques ? Que signifient des équivoques et d’indécentes niaiseries, sur les lèvres de cette noble jeune fille ? Excellente amie, répondit Wilheim, je ne puis non plus céder ici même un iota. Dans ces bizarreries, dans cette indécence apparente, est aussi renferme un grand sens. Nous savons, dès le commencement de la pièce, de quoi est occupé le cœur de cette aimable enfant. Elle vivait silencieuse et recueillie, mais elle dissimulait à peine sa langueur, ses désirs ; les accents de la volupté résonnaient en secret dans son âme et que de fois, comme une berceuse imprudente, a-t-elle essayé peut-être d’assoupir sa flamme par des chansonnettes, qui ne devaient que l’éveiller davantage ! Enfin, lorsqu’elle perd tout empire sur elle-même, que son âme voltige sur ses lèvres, ces lèvres la trahissent, et, dans l’innocence de la folie, elle se plaît à redire, en présence du roi et de la reine, ses folâtres chansons de la jeune fille qui se laisse séduire, de la jeune fille qui se glisse auprès de son bien-aimé et ainsi du reste. » Wilhelm avait à peine achevé, quand il vit se passer soudain devant ses yeux une scène singulière, qu’il ne put nullement s’expliquer. Serlo s’était promené quelquefois de long en large